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DARLING

— Fancy aurait donc intérêt, selon vous, à ne pas se laisser tourmenter par la Police et à faire immédiatement l’aveu de ce qu’elle sait ?

— Je le crois, répondit Patrice.

Isabella réfléchit un moment.

— Un mot encore, maître. Aussitôt l’inculpation prononcée contre elle, mon amie peut réclamer un avocat ?

— Oui. Elle le doit.

— Voulez-vous être cet avocat ?

Patrice n’hésita pas. Il ne pouvait accepter d’intervenir dans une action où il était, sans qu’on le sût, aussi directement intéressé.

— Non, dit-il nettement, je refuse.

Isabella étonnée tressaillit.

— Mais pourquoi ? Votre assistance pour elle, c’est le salut.

Patrice embarrassé cherchait un prétexte, si médiocre fût-il. Il le trouva, tout en en reconnaissant lui-même la faiblesse.

— Le salut, dit-il, ne croyez pas cela. Le fait de choisir un avocat et surtout un avocat connu, indique toujours un peu qu’on est coupable, qu’on a besoin de secours. L’innocent se fie à la Justice. Laissez désigner un avocat d’office. Et soyez rassurée, je vous jure que votre amie n’a rien à craindre. Si par hasard vous étiez impliquée vous-même dans l’affaire pour complicité, prévenez-moi, revenez me voir.

— Merci, dit Isabella. Je regrette seulement que vous ne consentiez pas à prendre tout de suite la défense de mon amie. Mais peut-être avez-vous raison.

Elle s’était levée, très à l’aise, en femme du monde qui prend congé. Il se rapprocha d’elle et lui dit d’un ton de douceur où il y avait du reproche et de l’indulgence :

— Pourquoi dansez-vous de la sorte… devant une foule banale, abjecte, lubrique ? Cela n’est pas digne de vous.

Elle répondit avec sérénité :

— Nous ne dansons pas devant la foule, nous dansons devant nous-mêmes. Le soir de ce dimanche, nous étions seules ou presque seules dans la nuit, dans la lumière bleue. Danser ainsi, c’est pour nous une ivresse, une frénésie qui nous exalte, qui nous ravit…