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LA CHASSE AUX COLOMBES

— Oui, chef, souffla Havard tout réjoui par le spectacle qui lui était promis.

Ils s’assirent à une vingtaine de mètres l’un de l’autre et observèrent le décor et les spectateurs. Ceux-ci, ils les avaient déjà vus sur la route ou tout au moins leurs pareils : quant au décor, il était simple et fourni par la nature. À une trentaine de pas en avant des sièges, le terrain s’exhaussait et formait, à un niveau plus élevé que le verger, une sorte de plateau gazonné et parsemé de quelques vieux arbres touffus.

Tout le monde se taisait : on attendait. Tous les yeux cherchaient le commencement du spectacle annoncé. L’homme de garde à l’entrée ayant fermé la barrière après l’arrivée du dernier spectateur, était venu jusqu’au verger et, posté à l’entrée, surveillait l’assistance d’un air soupçonneux, comme s’il s’attendait d’un moment à l’autre à ce que quelque chose troublât le divertissement.

Et le divertissement lui-même commença.

Voici la description qu’en fit, avec de louables efforts littéraires, dans les colonnes de l’Écho de France, Julien Ortis, le jeune et avisé reporter de ce journal, qui, à l’affût d’un « papier » sensationnel sur les dessous de la vie de plaisir à Paris, avait pu se procurer une entrée et se trouvait là incognito, à la fois en dilettante et en professionnel :

« Il fait un temps magnifique. L’après-midi d’été est calme et tiède. Un parfum léger monte des fleurs du verger. Le soleil filtre à travers les ombrages. Quelque chose remue, là-bas, dans les ramures basses d’un châtaignier dont le tronc se divise non loin de terre en trois branches. Une femme se délivre du mystère des feuillages et surgit peu à peu, comme une craintive hamadryade. Des pieds à la tête, une gaze l’enserre dans un tissu à mailles larges, couleur gorge-de-pigeon, sous laquelle le corps manifestement est nu. La tête, petite et charmante, est étreinte d’épais cheveux châtains, coupés courts, légèrement ondulés. Le visage est régulier, fin, souriant. Quand elle a sauté sur l’herbe, on devine ses formes sveltes et pures. Penchée, attentive, elle écoute, elle attend. Et d’un autre arbre non loin, émerge lentement et se montre,