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LES QUATRE AMIS

— Tu comprends, il y a plusieurs jours que ce diner est convenu. Richard et Antoine dînent chez nous une fois ou deux par semaine. Il n’y a aucune raison, c’est bien ton avis ? pour que nos habitudes soient changées.

Sans bouger, sans regarder son mari, Dominique de la voix lasse et sans expression qu’elle avait depuis la veille approuva :

— Aucune raison.

— Très bien, alors je pars. À ce soir.

— À ce soir.

Il s’en alla. Elle referma les yeux sur ses pensées. Quelles pensées ? Honte, colère, de ce qui avait eu lieu… Sans doute. Humiliation aussi de se trouver si faible, si désemparée devant la surprise d’une griserie soudaine, d’un vertige des sens… et peut-être aussi troubles rêveries évoquant la révélation de satisfactions voluptueuses plus intimes et plus ardentes d’avoir été basses, hasardeuses, anonymes… À qui s’était-elle donnée ?

Lorsque Patrice revint, quelque temps avant l’heure du diner, il portait à la main les journaux du soir. Il trouva dans la salle à manger, la table mise, portant quatre couverts, et dans sa chambre Dominique toute prête, plus jolie encore avec cet air absent, languissant, qui s’était posé sur elle et ne la quittait plus. Auprès d’elle, sur une table, se trouvaient les mêmes journaux que Patrice apportait et qu’elle avait déjà fait acheter.

Sombre, il s’approcha d’elle en martelant ses mots :

— Antoine et Richard sont, comme nous, ignorants de ce qui s’est passé, ne l’oublie pas. Leurs actes furent, comme les nôtres, inconscients. Ils n’en ont gardé que des souvenirs confus. C’est certain. Or il y a un point fixe qui doit dominer toutes les relations que désormais nous aurons avec eux. C’est ceci : toi et moi n’avons aucun doute : Nous ne nous sommes pas quittés une minute, tu entends, toi et moi ne nous sommes pas quittés une minute pendant la soirée de dimanche. Si… (il ne put dire nos amis). Si Antoine et