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L’ENFER

Patrice était déjà au volant. Richard monta auprès de lui. Antoine, livide de terreur, se hissa dans le fond auprès de Dominique prostrée et qui ne parut pas s’apercevoir de sa présence.

L’auto bondit dans la nuit. Les lanternes, puis les phares s’allumèrent. Ce fut une fuite éperdue, irraisonnée, loin de cette scène de débauche où la surprise des sens surexcités par l’ivresse soudaine les avait mêlés à ces inconnus, loin de cette pelouse baignée d’ombre et de lune où s’était passé… ils ne savaient plus exactement quoi, obsédés par le seul souvenir du cri tragique, de l’affolement dernier.

Ils fuyaient. L’auto sortit de la forêt… par où ? Patrice n’aurait pu le dire. Ils fuyaient. L’auto suivit des rues pavées, traversa un pont sur la Seine, dépassa d’autres autos, des voitures lentes de maraîchers, dont l’une fut accrochée au passage, dans leur course folle qui continua, poursuivie par des malédictions vite distancées. Maintenant c’était la banlieue dont les décors pauvres ou riants défilaient dans l’aube naissante avec la rapidité d’un film qui se déroule. Personne ne parlait dans l’auto effrénée que guidait automatiquement Patrice, les mains crispées sur son volant. Antoine, dans le fond, auprès de Dominique, muette et enfiévrée, dormait, plié en deux comme un pantin désarticulé, en prononçant dans son sommeil des mots sans suite.

Voici Paris, la place de la Défense, le pont de Neuilly, la Porte Maillot, déserte dans le petit matin.

Patrice freina brusquement. Antoine se réveilla tout à coup. Sans qu’un mot eût été échangé il sauta sur le trottoir ainsi que Richard, ils firent signe à un taxi de nuit qui maraudait encore, cherchant des clients attardés.

Patrice remit en marche aussitôt. Se contraignant à une allure plus modérée, il suivit l’avenue de la Grande-Armée et dirigea la voiture vers le Trocadéro. Il rejoignit le quai de Passy et l’immeuble neuf où il s’est installé avec Dominique après leur mariage.

Le garage situé au sous-sol comprenait cinq boxes. Patrice faisant entrer sa voiture dans l’un d’eux mit pied à terre ainsi que Dominique et tous deux par l’escalier intérieur gagnèrent le rez-de-chaussée et l’ascenseur où ils entrèrent.