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LE VERTIGE

l’atteindre. Une bousculade générale avait lieu, la bande confuse avança, se heurta au talus gazonné. Dominique revit passer la face du mécanicien, puis la face pâlie et surexcitée de Richard. Elle sentit qu’une main la saisissait par la taille. Une main d’homme. La main de qui ? Passive, comme si une autre elle-même se fût substituée à la chaste et altière Dominique, elle ne se défendait pas, consentante. Mais l’étreinte qui l’enserrait se dénoua. Elle vit Patrice près d’elle. Oui, c’était Patrice. Il l’avait défendue. Défendue contre quoi ? Pour Dominique rien n’avait d’importance que la force irrésistible de l’instinct qui la tendait toute vers la satisfaction sensuelle dont elle avait besoin.

Mais Patrice s’éloigna, entraîné par une femme… laquelle ?… Et c’est de nouveau le mécanicien dont la face canaille s’approche, avec un rire bestial de luxure, dont les mains s’agrippent voracement… Non, c’est Patrice qui est revenu. Et Richard… n’est-ce pas lui ?…

— Patrice, Patrice, gémit Dominique en s’accrochant à un bras qui saisit. Des lèvres avides étouffent des mots sur sa bouche. Elle rend le baiser éperdument…

Mais voici qu’un couple est tombé sur le gazon. La chair blanche de la femme luit dans l’ombre… Des râles de volupté halètent… Un autre couple tombe à son tour, un autre… tous les couples de hasard…

Ils s’agitent sur l’herbe, confus, mêlés dans des accouplements qui ne discernent plus leurs partenaires…

Et c’est l’assouvissement dans l’ombre profonde, dans le silence nocturne que troublent à peine de sourds bruits de moteurs, des aboiements de chiens, là-bas, au loin, et, par terre, ces hommes, ces femmes, qui s’étreignent et gémissent…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et soudain de ces couples qui gisent là, dans les ténèbres à présent si épaisses qu’on ne peut plus rien distinguer, s’élève, poussé par quelle bouche ? — s’élève un grand cri, un cri strident, déchirant, horrible, un cri qui s’éteint dans une sourde et sinistre plainte, dans un râle qui n’est plus un râle de volupté…