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GRISERIE

tion ? Mais Patrice s’estimait très au-dessus des autres hommes, ni Antoine, ni Richard lui-même ne pouvaient songer, n’oseraient songer à rivaliser avec lui… du reste, il était sûr de leur amitié, de leur loyauté, enfin, il était plus sûr encore de l’intangible vertu, de l’amour absolu de la belle et grave Dominique. Aucun danger de ce genre n’était admissible avec elle…

— Qu’est-ce que c’est que ça ? cria tout à coup Antoine qui regardait dans l’intérieur de l’auto.

— Ça, quoi ? demanda Patrice.

— Un panier de champagne ! continua Antoine. Tu te mets bien, mon vieux. D’où est-ce que ça te vient ?

— Ah, c’est un cadeau d’un client. J’avais oublié…

— Et quelle marque ? Tu sais que je suis amateur. Dame, on se console avec ce qu’on peut quand on n’est ni célèbre, ni séduisant. Attends que je regarde.

Du panier, il tira une bouteille dont il regarda l’étiquette.

— Supra Cordon d’Or ! Mais c’est la marque nouvelle qu’on va lancer ! On m’en a parlé. C’est un champagne épatant, paraît-il. Dis donc, Patrice, on va y goûter. Tu veux bien ? Ça nous mettra le cœur en joie. Richard et moi nous philosophions mélancoliques dans l’ombre… Vous arrivez… lumière, gaieté, champagne ! On va boire à l’amitié…

— L’amitié peut-se passer de champagne, dit Dominique en riant.

— Pas du tout ! Pas du tout ! S’il le faut, je vous supplie comme on supplie une divinité pour la fléchir.

La bouteille à la main, il mit un genou devant Dominique sur le gravier de l’allée.

— Soit, dit la jeune femme qui riait. Mais nous étions venus vous prendre pour faire un tour en auto.

— Une seconde, je vais chercher des coupes, nous trinquons sous les étoiles… ou plutôt sous les nuages, et nous filons…

Antoine courut vers la maison, revint bientôt ayant revêtu son veston et portant des coupes. Il déboucha la bouteille.

— Très peu, n’est-ce pas ? dit Patrice.

— Et pas du tout pour moi, ajouta Dominique.