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GRISERIE

Du même âge que lui, trente-cinq ans, il paraissait plus jeune avec sa haute taille svelte et musclée de sportif, son visage fin, à la courte moustache blonde comme les cheveux gominés ; ses manières étaient plus réservées ; sa voix plus calme, sa tenue plus correcte : un élégant complet gris sur une chemise de soie.

Un point commun pourtant les unissait, en dehors de leur intime camaraderie, leur admiration amicale pour Patrice Martyl, ami de lycée, resté leur ami dans la vie. Enfants, ils avaient subi son ascendant, ils le subissaient encore à présent. Patrice était le grand homme du trio qu’ils formaient. Ils l’admiraient pour ses brillantes facultés, pour son caractère ferme et net, pour la situation importante qu’il avait su conquérir et qui tous les jours s’affirmait au barreau. Ils l’admiraient aussi, et avant tout peut-être, pour son expérience des femmes et les succès qu’il avait auprès d’elles. Antoine peu attrayant et peu sentimental, par choix ou par force, se contentait d’aventures sensuelles sans lendemain avec des professionnelles, petites poules levées dans les bars qu’il fréquentait, vagues danseuses de boîtes de nuit. Richard, plus raffiné, dédaignait les professionnelles trop avancées et trop banales. Il lui fallait quelque recherche, une apparence de choix personnel chez ses partenaires souvent renouvelées, femmes faciles mais ne faisant pas ostensiblement un métier de la galanterie, divorcées sorties du monde à la suite d’un scandale trop retentissant, théâtreuses sans théâtre, toutes les désaxées qui ne sont plus des femmes honnêtes (avec ou sans amant) et qui ne sont pas tout à fait des grues, étaient ses élèves qui lui fournissaient le semblant d’amour dont il avait besoin tout en se moquant de la façon dont il le cherchait.

Patrice Martyl, lui, méprisait les amours faciles ; les professionnelles, avouées ou non, le dégoûtaient. Sensuel, mais aussi cérébral, l’amour tenait autant de place dans sa vie que l’ambition. Dans le monde où il était accueilli, autant à cause de son nom et de sa famille, que de sa célébrité et de ses remarquables qualités personnelles, il avait inspiré des passions profondes à des femmes qui jusque-là passaient pour irréprochables ; il avait eu de flatteuses bonnes fortunes qui lui avaient valu un peu la réputation d’un Don Juan. Ses deux amis en avaient été éblouis… Ce Patrice,