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LE SCANDALE DU GAZON BLEU

— Adieu, leur dit-il encore. Soyez sûrs que j’arriverai à me faire oublier de vous. Le pardon ne suffit pas. C’est l’oubli que je veux…

Il disparut.

Patrice et Dominique, côte à côte, s’accoudèrent au balcon. Ils y restèrent une heure, silencieux, sous le ciel d’été frissonnant d’étoiles, au-dessus du jardin embaumé par les roses, dans la nuit pacifiante.

Deux semaines plus tard, une grande auto chargée de valises franchit la grille du château ouverte par le jardinier. Elle portait Richard et Antoine. Ils allaient au Havre, où ils s’embarqueraient pour New York. Antoine avait liquidé ses affaires et avait loué son appartement à une société privée de spectacles d’art. Richard s’était libéré aussi de toutes ses attaches, il avait réalisé ses fonds. Tous deux étaient libres. Ils resteraient quelques jours à New York, puis par voie de terre, traversant les États au sud du Mexique, ils gagneraient Montevideo où ils avaient traité avec une grande firme de cinéma dont ils assumeraient, en association, la direction.

— Alors, c’est l’exil ? demanda Patrice.

— Non, répondit gravement Richard, c’est une existence nouvelle. Nous en avons assez de la vieille Europe, ses cieux trop connus n’ont plus d’attrait pour nous. Il nous faut d’autres décors, d’autres sensations, d’autres visages.

Il parlait avec une emphase railleuse. Mais à cette raillerie se mêlait l’amertume d’une cruelle douleur inoubliée.

Dominique, à la dérobée, le regardait. Il était pâle, les traits tirés, l’air désabusé et las. Quel contraste avec son compagnon ! Antoine partait joyeux, à la conquête d’un monde nouveau, d’une vie nouvelle. Richard semblait quitter la vie en même temps que la France.

Quand ils s’en allèrent, Patrice leur serra la main avec une effusion de cordialité qui, pour Richard, se mêlait de reconnaissance. Quant à Dominique, fraternellement elle les embrassa.