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LE SCANDALE DU GAZON BLEU

— J’en suis ravi, mon cher maître… Vous voir chez moi m’honore. Ne vous étonnez pas de trouver dans votre voiture un petit colis que je viens d’y faire placer par le sommelier…

— Un colis ? demanda Patrice étonné.

— Mon cher maître, douze bouteilles de champagne Supra Cordon d’Or. C’est une marque nouvelle que je vais lancer ; on ne la trouve pas encore dans le commerce. Un vin exquis. Permettez-moi de vous en offrir les prémices… Non, non, mon cher maître, ne protestez pas. Vous m’avez fait l’honneur de plaider pour moi, je ne l’oublie pas. Vous ne pouvez me faire l’affront de me refuser cette légère marque de ma profonde gratitude.

Le brave homme s’exprimait avec noblesse, en mondain qui, malgré une nuance de respect, s’adresse à un égal à qui il veut prouver sa reconnaissance. Patrice ne voulut pas le désobliger.

— Eh bien, j’accepte et merci.

— Trop heureux, mon cher maître.

L’auto, Patrice au volant, Dominique près de lui, prit la direction de Poissy. Dans les environs se trouvait le pavillon d’Antoine, un peu isolé au bord d’une route et au milieu d’un jardin.

Patrice, mettant pied à terre, sonna à la brille.

— Les voilà ! cria une voix venant du jardin. Ça c’est gentil ! On ne vous espérait plus. Attendez… le père Noël (c’était le vieux jardinier-gardien) est couché. Je vais ouvrir !

La grille s’ouvrit. Une lampe électrique allumée en même temps éclaira le jardin. Patrice remonté devant son volant fit entrer sa voiture.

— Nous fumions mélancoliquement dans l’ombre en respirant l’air embaumé du soir, où se mêle parfois un parfum d’essence qui rappelle la civilisation, expliqua le maître de la maison, Antoine Ganet, gros garçon réjoui, glabre, un peu chauve, un peu bedonnant, vêtu d’un pantalon de golf et d’une chemise de sport ouverte sur un cou puissant. Attendez, ma chère Dominique, je vais vous aider à descendre ! Ah ! Richard s’en est chargé !

Son camarade, en effet, donnait la main à Dominique qui, s’y appuyant à peine, sauta légèrement sur le sable de l’allée. Richard L’Heurois différait entièrement de son inséparable ami Antoine.