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— Je viens chaque jour, dit Mlle d’Annilis. En arrivant, mon cœur bat comme la veille. J’appelle Geoffroi : « Il est là, n’est-ce pas ? — Non. — Soit, mais il a écrit ? — Non. » Alors, j’arrange mes fleurs. Je regarde si ses affaires sont bien en ordre. Ici ses papiers. Là ses pipes. Là, le portrait de sa mère. Et puis, sur cette table, le livre qu’il était en train de me lire lorsque le tocsin a sonné au village pour la mobilisation. « Quel est ce charme que la troupe des corsaires reconnaissait à son chef ?… »

— Oui, murmura Nathalie, c’est une obsession chez lui.

— Mais non, dit Armelie, c’était la race des Plouvanec’h qui parlait. Mais il y en avait une autre, aussi forte en lui, la race à laquelle il tenait par la bonne dame de Plouvanec’h, née Marie de Sainte-Marie. Et ainsi, il était à la fois emporté et très doux, aimable et rude, raisonnable, exalté, prêt à toutes les bonnes actions, détestant le mal, et cependant réfractaire à toute discipline, et surtout dominé par ses passions. Et ainsi, tour à tour, c’étaient les Plouvanec’h ou les Sainte-Marie qui prenaient l’ascendant. Sur son visage, la double influence se trahissait. Regardez son portrait, mademoiselle, et vous pourrez vous-même le constater.

Elle tira de dessous le volume de Byron une photographie enveloppée dans du papier de soie et la tendit à Nathalie, en ajoutant :

— Il s’habillait toujours ainsi… un veston bleu à double rangée de boutons d’or… et une casquette de marin.

Nathalie n’eut pas un seul mouvement de surprise. D’avance, elle savait. La photographie de Jean de Plouvanec’h, c’était celle d’Ellen-Rock, de quinze ans plus jeune.

Les cloches de l’église sonnèrent l’appel. Geoffroi était allé chercher sa pèlerine et son chapeau, et faisait signe à Mlle d’Annilis qu’il était temps de partir.

— Allons, ma petite demoiselle, ne causez pas trop de notre Jean. Ce sont là des choses qui n’intéressent que nous.

— C’est vrai, dit-elle. Mais je ne peux pas faire autrement quand on m’interroge sur lui. Continuez votre