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Rock. C’est lui qui l’a conçue. C’est lui qui l’a organisée.

— Non.

— Pourquoi ?

— Jéricho est mort.

— Hein ?

Chacun des interlocuteurs de Pasquarella avait sursauté. L’aventure changeait d’aspect. Elle semblait vide tout à coup, maintenant que ne la soutenait plus l’être fantastique et légendaire qui en était l’âme, l’expression même et la figure en quelque sorte symbolique. Jéricho était mort ! Et ce qui, jusque-là, pouvait avoir encore une signification réelle et s’appuyait sur des faits devenait inconsistant et vacillant.

— Mais comment est-il mort ? demanda Ellen-Rock. Dans quelles conditions ?

— Assassiné.

— Par qui ?

— Par Boniface.

Un silence plus profond encore s’ensuivit, et Maxime exposa ses conclusions :

— Tout est là, voyez-vous. Toute l’histoire de la bande de Jéricho, depuis vingt mois, c’est l’histoire d’une troupe sans chef, qui l’ignore, et qui agit sous l’impulsion de l’assassin, en l’espèce un homme sans qualité pour commander, que les échecs découragent…

— Et qui est torturé par les remords, acheva Pasquarella.

— Par les remords ?

Elle s’expliqua lentement :

— J’ai toujours connu Boniface en proie à ses terreurs. Souvent, la nuit, ses cris me réveillaient. À propos de tout cela, une fois, Ludovic l’a questionné devant moi sans obtenir de réponse. Cependant, ces jours-ci, j’ai senti que sa résistance faiblissait. Comme les dispositions étaient prises pour cette nuit, Ludovic répétait sans cesse : « Eh bien, et Jéricho, il ne vient donc pas ?… Vous allez voir, Boniface, le coup va rater comme à Mirador. » Mardi dernier, Boniface était à moitié ivre, Ludovic dut le coucher. Il nous réveilla encore. Il pleurait. Et soudain, il se mit à raconter, et bien que la porte fût fermée entre nous, et qu’il parlât bas, j’entendis tout de même une partie de la confession.

Pasquarella s’interrompit un moment, et reprit les paroles mêmes de Boniface, comme si ces paroles résonnaient encore à ses oreilles :

« — En ce temps-là, ça ne marchait plus entre Jéricho et moi, disait Boniface, je le sentais bien. Jéricho m’aurait gardé, évidemment, parce que je savais trop de choses et que je lui étais utile… Et moi non plus, je ne pouvais pas le quitter… Mais j’en avais assez… Jéricho était trop dur avec moi… toujours à se moquer et à m’humilier… Et puis, pourquoi était-il le chef ? Pourquoi pas moi ?… Ahmed, le Turc, qui avait fait le coup du médaillon et qui avait reçu vingt coups de baguette sur les épaules, me le disait aussi : « Pourquoi c’est-il pas vous qui êtes le chef, monsieur Boniface ? vous valez bien Jéricho. » En outre, je pensais à ce médaillon que Jéricho allait retrouver en enlevant Mlle  Manolsen à Constantinople… Dix,