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mieux !… Mais comment avez-vous pu pénétrer ici ?

Maxime prit aussitôt son air d’importance et de désinvolture.

— On pénètre où l’on veut, chère amie, et je pourrais vous raconter que nous avons traversé le plafond. Mais je n’essaie jamais d’éblouir, et je vous dirai tout simplement que je couche depuis un mois dans la chambre voisine de votre appartement, que, à travers la double porte qui nous séparait, et dont j’entrebâillais le battant de mon côté, j’écoutais et je veillais à votre salut. C’est ainsi que j’épiais le sieur Forville. Et c’est ainsi que, tantôt, j’ai entendu votre communication téléphonique avec Pasquarella, laquelle communication m’était destinée. Erreur de numéro. En outre, je vous prierai de remarquer que le verrou est tiré, ce qui nous a permis de nous introduire.

— Mais qui l’a tiré ?

— Votre fidèle camériste, Suzanne, laquelle est notre encore plus fidèle collaboratrice. Je viens même de l’expédier, soi-disant sur votre ordre, et comme tous les samedis, au cinéma, d’où elle retournera directement dans sa chambre. Donc aucune intervention à craindre. Nous sommes libres d’agir, et les autres sont libres d’agir contre nous.

— Ils ont commencé déjà, fit Nathalie.

— Oui, je sais, le narcotique dans le verre de vin. Mais vous avez pu parer le coup.

— En outre, on a déchargé mon revolver, ce qui prouve une attaque prochaine.

— Vétille, déclara Maxime. Plus l’ennemi multiplie ses préparatifs, plus il s’enferre. Notre plan est au point. Attaque ? riposte… Piège ? contre-piège… Ludovic entre en scène ?… Je lui oppose Pasquarella. Dix heures vingt. À la demie, l’Italienne m’attend dehors. Je vais la chercher et l’amener ici, avec des ruses d’Indien, pour qu’on ne la dépiste pas.

Il sortit.

Ellen-Rock avait inspecté l’appartement et la distribution des pièces. Il vérifiait le sens suivant lequel ouvraient les portes. Il cherchait l’emplacement des interrupteurs électriques, éteignait et rallumait. À la fin, il dit à Nathalie :

— Où mettez-vous vos bijoux, mademoiselle ?

— Dans un coffre de banque, à Paris. Je n’en garde avec moi que quelques-uns, de valeur insignifiante.

— Et qui sont ?

— Dans ce secrétaire dont je conserve la clef.

Elle tira du secrétaire un petit sac de cuir rouge qu’elle vida sur le marbre du guéridon. Il y avait deux bracelets, des bagues, un collier, et le médaillon byzantin.

— Vous ne le mettez plus sur vous ? demanda Ellen Rock.

— Non, depuis que je sais qu’il a causé la mort de mon père.

Ellen-Rock le considérait distraitement. Avec un crayon, il traça sur un morceau de papier des lignes droites qui s’entrecroisaient au hasard, comme s’il cherchait un dessin précis.

Nathalie, penchée près de lui, observa :

— Vous avez fait une croix… avec deux barres horizontales… une croix de Lorraine, n’est-ce pas ? Est-ce qu’il y a ce signe sur le médaillon ?

Il souleva le couvercle et le présenta devant une ampoule. Sur la plaque tailladée et sertie du cristal était gravée confusément une croix semblable à la croix dessinée.

— Vous connaissiez donc déjà ce bijou ? demanda Nathalie.

— Oui, murmura-t-il. J’ai déjà eu l’impression, en Sicile, que je l’avais tenu dans mes mains et qu’il fit partie de ma vie longtemps… longtemps… Mes doigts se souviennent de cette matière. Mes yeux la revoient. Sans doute Jéricho me l’aura volé, et il y tient pour des raisons… pour des raisons que j’ignore.

L’effort qu’il faisait afin de résoudre le problème creusait des rides sur son front. Tous deux se turent, jusqu’au moment où Maxime revint.

— Eh bien ? dit-il, en glissant la tête par la porte entrebâillée de sa chambre… Rien de nouveau ? Pasquarella peut entrer ?

Il se retourna et introduisit l’Italienne, en la gourmandant :

— Dépêchez-vous, Pasquarella… Et puis ne tremblez pas. Est-ce que je tremble, moi ?