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pas. D’ailleurs, pourquoi te sauver ? Ce n’est pas mon revolver qui te retient, mais la situation elle-même. Si tu fuis, je te dénonce.

Le Grec s’agita, sans comprendre, l’air effaré, et le regard faux. Il bredouilla :

— Qu’y a-t-il ? Que voulez-vous ? Qu’ai-je fait ?

Ellen-Rock rempocha son arme. Dès l’instant que Zafiros acceptait l’entretien, nul doute qu’on ne l’amenât à composition.

— Ce que tu as fait ?

Il énuméra :

— D’abord tu es de ceux qui ont enlevé Lætitia, et qui, par conséquent, sont responsables de sa folie. Ensuite, tu es de ceux qui ont poursuivi M.  Manolsen, et qui sont, par conséquent, responsables de ce qui lui est advenu… Mais je n’en dirai pas davantage. Tu vois que je suis bien renseigné sur tout ce qui te concerne et que tu as avantage à t’entendre avec moi.

Le Grec n’avait nullement l’air d’admettre cet avantage. Mais il crut sentir que le péril n’était pas aussi grand qu’il le pensait. Il se risqua donc à écouter ce qu’on avait à lui dire, quitte à prendre telle décision qui conviendrait.

Il s’installa sur un des gradins, se croisa les jambes et reprit, d’un ton dégagé :

— Je m’aperçois que je suis tombé dans un piège et que vous y êtes pour quelque chose, Pasquarella Dolci. J’écoute.



V

La mort de M. Manolsen

L’assurance du Grec ne fut pas de longue durée. Ellen-Rock lui lança un regard si rude qu’il se remit sur pied et sourit doucement.

— À moins que vous ne préfériez que je parle et que vous écoutiez. Je ne demande pas mieux, moi, C’est mon métier de parler. Mais à propos de quoi ?

— À propos de l’enlèvement.

— Quel enlèvement ?

— Celui de Lætitia Dolci.

— Mais je n’y étais pour rien, mon bon monsieur ! Je sais, en effet, que la pauvre demoiselle a été enlevée par des malfaiteurs. Mais je n’ai jamais été mêlé à cette vilaine affaire, et la justice elle-même…

Une fois encore, Zafiros s’inquiéta. Décidément l’œil de son adversaire inconnu l’impressionnait. Il aima mieux faire la part du feu et accepter la discussion sur un terrain où, somme toute, le rôle qu’on lui reprochait était celui d’un comparse.

— Alors, dit-il, vous vous adressez à ma franchise ? Ça, c’est tout autre chose. Je ne réponds pas aux menaces, mais quand on s’adresse à ma franchise !… Donc, je l’avoue, j’ai participé à cette affaire pénible. Oh ! malgré moi. J’étais en bonnes relations avec la major Boniface, un type que je ne vous souhaite pas de connaître, mais qui m’avait rendu un grand, un très grand service, de sorte que, le jour où Boniface est venu me dire : « Zafiros, j’ai besoin de toi », j’aurais été un misérable si je n’avais pas répondu : « À ta disposition. » Chacun sa conscience, et la mienne est délicate, à ce sujet. D’autant plus…

— Droit au but, exigea Ellen-Rock.

— D’autant plus, reprit Zafiros, que c’était une bien petite chose… Presque rien… Un monsieur de ses amis, un monsieur important, le priait d’amener chez lui, à Palerme, où il habitait à cette époque, une jeune fille du pays qu’il avait vue plusieurs fois, et dont il s’était amouraché… Rien que de très naturel, n’est-ce pas ? Cependant, comme je suis scrupuleux, je posai une condition : « Soit ! Mais ces dames de la Casa Dolci sont de mes relations, et je ne veux pas qu’on fasse du mal à Lætitia. » « Quel mal veux-tu qu’on lui fasse ? me dit Boniface. Mon ami est un gentleman et je m’engage sur l’honneur à ce que Lætitia retourne chez elle le lendemain. » J’acceptai donc, malgré moi, je le répète. Mais la vie nous impose de ces devoirs. Vous savez le reste…

— Le reste, dit Ellen-Rock, c’est que Lætitia Dolci ne rentra chez elle que quinze jours plus tard et qu’elle était folle.

Zafiros leva les bras.

— Était ce de ma faute ? Pouvais-je deviner que l’ami de Boniface n’était pas un gentleman ?