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lait que l’entrevue eût lieu en présence de Nathalie et de Pasquarella, ne l’aborda pas. Mais le lendemain matin, pénétrant chez les Dolci, il enjoignait à Pasquarella d’aller prendre Nathalie. Tandis qu’il serait lui-même au temple, elles gagneraient toutes deux, sans attirer l’attention, le chemin du mont Barbaro et se posteraient dans les ruines du théâtre antique. Il y amènerait le Grec.

Les choses se passèrent ainsi. À neuf heures, Ellen-Rock traversait le lit desséché d’un petit torrent, atteignait la maison du gardien, et se dirigeait vers le temple de Ségeste.

Il marchait de son air à la fois absorbé et attentif. Le trouble ressenti près de la folle, il le retrouvait en contemplant le magnifique spectacle que forme l’immense cirque des montagnes arides, et il songeait moins à l’admirer qu’à chercher en lui-même quels souvenirs abolis évoquaient certains détails de ce spectacle, la courbe de cette montagne, la couleur du paysage, la belle ligne de ce ciel découpé par les lignes si pures du monument. Et c’est à peine s’il s’aperçut tout d’abord que Zafiros avait surgi devant lui et lui offrait son concours.

C’était un petit homme souple, jeune encore et bien pris dans des vêtements clairs, avec des gants de fil et un chapeau de paille. Sans attendre la réponse d’Ellen-Rock, il se mit à discourir sur le temple, en style de cicérone : « Voilà l’une des constructions les plus grandioses qu’ait élevées l’architecture dorique. Et dans quelle solitude solennelle ! Il y a trente-six colonnes de 9 mètres de haut… »

Ellen-Rock le laissa pérorer. Certain que le Grec ne soupçonnait rien, il posa quelques questions techniques auxquelles l’autre se hâta de répondre, et ils firent ainsi le tour du temple.

Après quoi, Zafiros engagea vivement son client à visiter le théâtre antique. Ils redescendirent donc vers la maison du gardien et escaladèrent le mont Barbaro. Les environs étaient déserts. Aucun voyageur. Ellen-Rock, qui s’était informé, savait que le train de Palerme n’arrivait que plus tard.

— Nous sommes ici sur le mont Barbaro, disait le Grec, quatre cents mètres d’altitude. Veuillez contempler le panorama, que les touristes les plus experts considèrent comme un des plus beaux du monde. Le théâtre a un diamètre de 63 mètres avec une vingtaine de gradins…

Il s’arrêta net. Sur un signe d’Ellen-Rock, Nathalie et Pasquarella qui se tenaient à l’écart, et dissimulées, avançaient. S’étant retourné, Zafiros les vit à trois pas de lui. Il n’y avait personne autour d’eux ni aux abords des ruines. Il recula un peu, pressentant le péril. Ellen-Rock lui plaqua un revolver sur la tempe, en disant :

— Pas un mot, Zafiros. Tu es cerné, traqué, dans l’impossibilité de te défendre. Et surtout ne te sauve