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ce un cri de haine ou un cri d’amour ? Réponds, Nathalie !

Elle reculait maintenant. Elle sentit contre ses jambes l’obstacle du vieux banc de pierre. De ses deux bras, Ellen-Rock lui entoura le buste et la serra contre lui.

— Ose dire que tu ne m’aimes pas, orgueilleuse ! Quand on a donné à un homme exécré cette preuve d’amour, a-t-on le droit de se taire ?

Elle n’avait plus la force de lutter contre lui, et moins encore contre elle-même. La passion d’Ellen-Rock la pénétrait de langueur. Toutes les paroles de l’amour lui montaient aux lèvres, et, si elle se réfugiait encore dans le silence, c’était par une pudeur que ses yeux démentaient.

Elle se rappela l’idée de défaite qu’elle attachait au baiser, fût-il obtenu par la ruse ou la violence. « Qu’il me prenne la bouche, et je suis perdue », pensa-t-elle. Et elle attendait, impatiente et terrifiée.

Par un effort de volonté imprévue, et rien ne pouvait la toucher davantage, il résista. Il desserra son étreinte, puis, doucement, avec un respect infini, il la déposa sur le banc et, mettant un genou en terre, il baisa l’étoffe de sa robe.

— Je vous demande pardon. Vous voyez, Jean de Plouvanec’h est encore, et pour longtemps, un barbare. Mais tout changera. Il le faut. Croyez bien qu’au fond de moi, malgré ma forfanterie, je ne suis pas très fier de ma vie, telle que je la connais maintenant. Entre le passé que j’ai découvert et l’avenir que je rêve, il doit y avoir une période de réparation et de recueillement. La grande aventure est finie, Nathalie, aussi bien celle de Jéricho que celle d’Ellen-Rock. Il y avait autant d’orgueil dans le second que dans le premier, et le même besoin d’ostentation. Pour redevenir Jean de Plouvanec’h et pour vous demander ma grâce, il faut que je me consacre à quelque besogne plus humble.

Il s’était levé et s’amusait de ses propres paroles.

— Mais oui, il faut que je travaille, que je mène des troupeaux et que je défriche des terres. Jadis, je me serais fait moine. Aujourd’hui, je m’exile et je serai colon. D’ailleurs ne dois-je pas gagner ma vie et rentrer dans la règle, afin de savoir s’il ne reste pas en moi du pirate et de l’aventurier, et de savoir si la crise d’inconscience et de folie qu’a déclenchée la guerre a bien pris fin ?

Il marcha une minute ou deux et revint s’arrêter devant elle.

— Et puis, Nathalie, nous ignorons quelles vont être les réactions d’un Forville et d’un Boniface. Ni l’un ni l’autre ne renonceront au mal, soyez-en sûre, et rien ne prouve qu’un jour la justice ne mettra pas la main sur eux, et qu’il n’y aura pas quelque scandale où le passé de Jéricho reviendra à la surface. Je ne veux pas risquer que votre nom soit mêlé à tout cela. Séparons-nous, Nathalie.

Elle se cachait le visage entre les mains. Pleurait-elle ? Était-ce par un regard indifférent qu’elle eût répondu à son regard ? Il lui dit :

— Il y a dans la famille des Plouvanec’h un grand secret, Nathalie, qui se transmet de père en fils, dont les dames de Plouvanec’h reçoivent la confidence, et qui ne fut jamais trahi. Hugues de Plouvanec’h, seigneur de Jérusalem, et premier prince de Jéricho, reçut en récompense un médaillon au creux duquel se trouve un morceau de la vraie croix. Hélas ! ajouta-t-il en souriant, cette relique