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« Les faits ont souvent besoin d’être expliqués, monsieur le Juge d’instruction. M.  d’Orsacq vient d’insinuer contre moi une chose tellement odieuse que je désire y répondre sans retard. C’est un point sur lequel j’ai le droit d’être entendue.

— Expliquez-vous, dit vivement M.  Rousselain, toujours avide de confidences féminines.

— Je serai d’autant plus sincère que mon mari pourra juger ma conduite. Monsieur le Juge d’instruction, j’ai toujours été la femme la plus honnête. Je n’y ai aucun mérite. Ma nature exige l’ordre, la propreté, la clarté, l’équilibre. Tout ce qui est équivoque et louche me répugne. Mon mari, pour qui j’éprouve une affection et une estime profondes, n’a rien à me reprocher, ni arrière-pensée, ni regret inconscient. Lorsque M.  d’Orsacq a commencé à me faire la cour, cet hiver, je n’ai rien dit, parce qu’une femme qui ne ressent pas même l’ombre d’une tentation, a le droit de se taire. Et je me suis tue encore, lorsque Bernard, pour des raisons que j’ignorais, a voulu se rendre à l’invitation de M.  et Mme  d’Orsacq. Je n’ai pas l’habitude de le contrarier. Il désirait venir. Je l’ai suivi. »

Christiane respira un moment. Pour la première fois, ses yeux se posèrent sur les yeux de son mari. Puis elle continua :

« La semaine, au château, se passa très bien. Cependant, la cour de M.  d’Orsacq se faisait plus pressante. Aurais-je dû partir ? Non, puisque je n’éprouvais aucune gêne. Ce n’est qu’avant-hier, samedi, que cette possibilité de départ a surgi dans mon esprit sans toutefois que je fusse contrainte de l’examiner. Mais hier, M.  d’Orsacq m’y obligeait, et tout de suite, je sentis la menace du danger… Le soir vint. On sortit dans le parc. Tu te rappelles, Bernard, je t’ai prié de nous accompagner. Au bord de la rivière, il resta seul avec moi, puis m’entraîna dans l’ancien pigeonnier où Boisgenêt allait nous rejoindre, puis me força, en me tenant par le poignet et en dominant ma volonté, à venir dans cette pièce. J’étais exaspérée. Je me raidissais contre son influence… Et je lui dis ma résolution inflexible de partir. Alors, il essaya de me prendre dans ses bras… Il y eut lutte entre nous… Je me dégageai, et tombai dans ce fauteuil en pleurant. C’est tout. »

Christiane hésita. Un afflux de sang colorait son visage. En dire davantage, c’était peut-être montrer à nu les parties les plus secrètes de son âme. Elle reprit :

« C’est tout. Cela ne dura pas plus de trente ou quarante secondes. Il faut considérer que l’on me poursuivait depuis des heures… que j’étais épuisée par la lutte et que je craignais un scandale. Ah ! Bernard, je te le jure. Mais