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Bernard riposta en haussant la voix :

— Il m’aurait fallu monter dans le boudoir et dans la chambre. Or, je ne suis pas monté et je défie que l’on puisse établir la preuve du contraire.

— Cette preuve existe cependant, articula M. Rousselain avec vivacité. Elle existe irréfutable. Dans la chambre de la victime, on a relevé tout à l’heure le témoignage évident que c’est vous-même, et non pas telle autre personne, qui avez fouillé l’armoire et saisi la clef ! »

Bernard sursauta : « Mais c’est abominable, monsieur le Juge d’instruction. De quoi s’agit-il ? On l’y a placé, ce témoignage, puisque je n’ai pas été dans la chambre. C’est une vengeance… un complot… »

M. Rousselain formula durement :

« C’est ce qu’il vous faudra démontrer, monsieur, le jour prochain où, en présence de votre avocat, je vous demanderai de vous expliquer à ce propos. En attendant, je suis obligé, étant donné les charges qui pèsent sur vous, de vous inculper de… »

Christiane ne le laissa pas achever. Frémissante, indignée, elle s’écria : « Mon mari est innocent, monsieur. Ce n’est pas lui le coupable.

— Alors qui, madame ?

— Ce n’est pas lui, je le jure.

— La preuve, je le dis encore, est irréfutable. Ajoutée à toutes les autres, elle complète un faisceau de certitudes telles que je n’ai pas le droit d’hésiter davantage…

— Non, non, je vous en conjure, protesta Christiane hors d’elle, non, mon mari n’ira pas en prison. Non ! ce n’est pas lui, j’en fais le serment.

— Alors qui ? répéta M. Rousselain avec une véhémence inattendue. Il y a eu crime, donc il y a un criminel. Si ce n’est pas votre mari, c’est un autre. Cet autre livrez-le à la justice. Sinon… »

M. Rousselain s’était levé.

Planté devant Christiane, impérieux, sans pitié, il posait le dilemme inexorable : si votre mari est coupable, je l’arrête. S’il ne l’est pas, dites-moi qui je dois arrêter. Et dites-le tout de suite, d’un mot, d’un geste.

Un grand silence. Christiane se taisait.

M. Rousselain appela le brigadier.

Alors elle s’effara, et, le bras tendu, désignant le comte d’Orsacq, elle proféra : « C’est lui le meurtrier ! c’est lui… C’est lui qui a tué sa femme ! »



V


« Enfin, nous y sommes, marmotta M. Rousselain. Mais, fichtre ça n’a pas été sans peine ! »

Le substitut s’étonna :

« Mais qu’est-ce que c’est que cette charge nouvelle, écrasante, dont vous avez parlé ? »

— Une blague, dit froidement M. Rousselain. On n’a rien trouvé du tout. Seulement, n’est-ce pas, il fallait brusquer les choses, affoler Mme Debrioux et la contraindre à sauter l’obstacle, à parler.

— Le coup n’est pas très catholique…

— Qu’importe, il a réussi. Qui veut la fin veut les moyens. »

Ainsi, grâce à l’habileté extraordinaire de M. Rousselain, la bataille se livrait non plus entre la justice et Christiane, mais entre Christiane et l’homme qu’elle visait si clairement depuis quelques minutes, et qu’elle traitait soudain en ennemi mortel. Placée devant l’arrestation de son mari, forcée d’y consentir ou d’accuser, ne discernant pas la manœuvre de M. Rousselain, Christiane accusait hardiment, férocement. De tout son être, dans un élan irrésistible, sans plus s’occuper des magistrats, elle s’engageait à fond contre d’Orsacq comme si elle était maîtresse de la réalité, et résolue à la faire prévaloir par tous les moyens.