L’oncle parti, M. Rousselain se tourna vers le neveu et lui dit :
« Regardez donc droit devant vous, mon garçon, au lieu de vous tortiller le cou. »
L’embarras de Gustave redoubla. Il baissa la tête et ses yeux ne quittèrent plus le tapis.
Enfin le juge d’instruction s’adressa au comte d’Orsacq :
« Monsieur d’Orsacq, ce jeune homme est depuis longtemps à votre service ?
— Depuis cinq ou six ans, monsieur le Juge d’instruction. À sa sortie de l’école, orphelin, il a été adopté par son oncle.
— Vous êtes satisfait de lui ?
Le comte hésita :
« Oui et non, dit-il. Il connaît son métier, mais il est paresseux, assez menteur, et il braconne. La gendarmerie lui a même dressé procès-verbal l’an dernier. Si je ne l’ai pas mis à la porte, c’est en faveur de son oncle.
— Hier soir, vous l’auriez rencontré, paraît-il, deux fois au château ?
— Deux fois. À sept heures, d’abord, ici même. Amélie avait refusé de lui ouvrir le boudoir.
— Madame reposait, fit Amélie. J’ai dit à Gustave de déposer les fleurs et je les ai arrangées plus tard.
— Il était naturel, monsieur d’Orsacq, dit le juge d’instruction, que Gustave pénétrât dans la bibliothèque ?
— Non, monsieur le Juge d’instruction…
— Et vous l’avez rencontré ensuite ?…
— À neuf heures et demie, comme nous sortions. Il se dissimulait dans le vestibule, parmi les plantes. Mme Debrioux et Boisgenêt l’ont vu également.
— Votre conclusion ?
— Ma conclusion n’est qu’une hypothèse. Gustave a pu profiter de ce que le château était vide pour monter l’escalier principal et pour pénétrer dans l’appartement de Mme d’Orsacq.
— On a trouvé fermées au verrou la porte de la chambre et celle de la salle de bains qui donne sur le boudoir.
— Peut-être y en a-t-il une qui n’était pas fermée, et dont, une fois à l’intérieur, il aura poussé le verrou lui-même, pour ne pas être inquiété de ce côté.
— Ensuite ?
— Ensuite, il aura quitté le boudoir en descendant ici, par cet escalier.
— Ce serait donc lui le coupable, selon vous, et il se serait enfui par cette fenêtre, immédiatement après M. Debrioux.
— Monsieur le Juge d’instruction, déclara Jean d’Orsacq, je ne puis en dire davantage sur le rôle de Gustave. Une certitude : sa présence au château deux fois constatée à des heures insolites. Une hypothèse le détour qu’il aurait fait par le boudoir. Tout le reste n’est que présomptions et suppositions.
— Fichtre, souffla M. Rousselain à l’oreille du substitut, la situation ne s’éclaircit pas.
Il se tourna vers Gustave, lequel ne quittait pas le tapis de l’œil, et, brusquement : « À toi, mon garçon. Qu’as-tu fait après avoir apporté les fleurs ? »
Gustave marmotta d’une voix à peine intelligible :
— Je suis sorti.
— On t’a vu sortir du château ?
— Non… oui… j’sais pas.
— Et ensuite où as-tu été ?
— Dans… dans le parc… dans le bois.
— Où personne non plus ne t’a vu ?
— Non.
— Et tu n’as pas dîné ?
— Si… un morceau de pain que j’avais dans ma poche.
— Mais tu es revenu au château ?
— Non.
— Comment, non ? Trois personnes ont remarqué ta présence dans le vestibule, à neuf heures et demie.