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est allé hier soir la chercher où elle se trouvait. Mme  d’Orsacq, qui disait son chapelet, à moitié endormie, réveillée en sursaut, a voulu lui barrer le chemin. Il y a eu lutte. Il a frappé.

Le silence fut affreux. Il fut d’autant plus affreux et parut d’autant plus long que Bernard n’eut pas une de ces explosions de révolte par quoi s’exprime l’innocence. À la fin seulement, il répliqua :

« Monsieur le Juge d’instruction, j’ai à répondre des actes que j’ai commis, et vous avez vu que je sais le faire sans détour. Je n’ai pas à répondre des actes que je n’ai pas commis.

— Personne, monsieur, n’a passé par cette bibliothèque que vous. Personne n’a pu entrer dans le boudoir et dans la salle de bains que vous.

— Je n’ai pas tué.

— Pourtant la preuve est formelle. Voici une étiquette avec sa ficelle coupée. Voici une clef avec l’autre bout de la ficelle.

— Je n’ai pas tué…

— Alors, dites-nous comment vous avez eu cette clef ?

— Je n’ai pas tué.

M.  Rousselain haussa les épaules.

— Donc, votre système de défense, consisterait à prétendre que vous avez volé, mais que c’est un autre qui a tué ?

— Je n’ai pas de système de défense, monsieur le juge d’instruction.

Christiane s’approcha vivement de son mari, et, la voix brisée, supplia :

— Bernard… Bernard… défends-toi, je t’en prie

— Tu ne me crois donc pas ?

Elle gémit : « Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, mais les autres. C’est atroce !… Tu ne comprends donc pas que tout est contre toi ? Pense à cela, Bernard. » (Et plus bas encore) « Si tu ne te défends pas, par des preuves, tu es perdu. »

Il vacilla sur lui-même. Il sembla inquiet, effaré. On l’entendit qui répétait : « Perdu… perdu… », puis, se reprenant, il dit à haute voix :

— Tu ne m’as pas répondu, Christiane. Ne peux-tu pas m’affirmer que tu as pleine confiance en moi ? C’est cela seul qui m’importe.

Ils se regardèrent longuement. Jean d’Orsacq se taisait, les yeux fixes, comme un homme qui cherche la vérité, qui se débat, et qui ne comprend pas.

Les deux magistrats attendaient l’issue du dialogue pathétique entre la femme et le mari.

Christiane demeurait impassible, maintenant. Des larmes s’étaient arrêtées au bord de ses yeux et ne coulaient plus. Partagée sans doute entre l’horreur de ce crime et l’impossibilité d’y croire, elle devait chercher, comme d’Orsacq, et se débattre, comme lui, contre une vérité obsédante et monstrueuse.

Bernard, cependant, implorait un mot de confiance et d’assistance, qui pût lui faire supposer qu’elle croyait en lui, ou du moins qu’elle hésitait à ne plus croire en lui. Ce mot, elle ne le dit pas.

Le juge d’instruction appela le brigadier.

— Brigadier, ordonna-t-il, conduisez monsieur dans la salle de billard. Il y déjeunera. Un de vos hommes près de lui, n’est-ce pas ?

— C’est l’arrestation ? demanda Bernard.

— Je désire que vous restiez à ma disposition durant quelques heures, déclara M.  Rousselain.

Sur le seuil, Bernard se retourna vers Christiane. Elle était accoudée, les mains au menton. Elle ne leva pas les yeux…



Troisième partie

L’après-midi

I


Il était alors onze heures. Le comte d’Orsacq proposa aux deux magistrats de déjeuner au château.

« Avec plaisir, monsieur, accepta le juge d’instruction. Nous déjeunerons ici, dans cette bibliothèque, pour ne pas interrompre notre travail, et la femme de chambre, Amélie, nous servira. Un repas frugal, surtout ! J’aurais même plaisir à m’entendre avec votre chef… à cause de mon régime, n’est-ce pas ? »

Ce régime, le cuisinier-chef put s’en apercevoir, consistait à ne manger que les mets les plus lourds, arrosés des vins les plus généreux. Le château d’Orsacq était réputé pour sa table. M.  Rousselain ne voulait à aucun prix manquer une telle aubaine.

En attendant, il chargea le brigadier de vérifier certains points de l’enquête, par exemple de mesurer dans le parc quelques distances et de « minuter » la durée du trajet effectué par Bernard Debrioux. Ensuite, il conféra avec les agents de la brigade mobile et leur donna maintes indications. Il pensait d’ailleurs à tout autre chose, la partie technique d’une instruction lui semblant dénuée de tout intérêt et de toute efficacité.

Christiane Debrioux s’enferma dans sa chambre, Jean d’Orsacq dans la sienne. Le ménage Bresson, Vanol et Boisgenêt élurent comme domicile la salle à manger où l’on devait leur servir à déjeuner et y transportèrent leurs bagages.

Les deux magistrats déambulèrent à travers le château, examinèrent le boudoir, la chambre, les diverses communications des pièces entre elles.