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« Rentrons, dit-elle.

— Nous allons nous faire tremper… Non, il est préférable de s’abriter dans ce pigeonnier. »

Il y avait bien eu là, jadis, un menu pigeonnier. Mais il n’en restait que les ruines, que l’on avait respectées et coiffées comme d’un chapeau de paille délabré.

« Moi, je rentre, grogna Boisgenêt, j’ai les pieds gelés. »

Elle le retint par le bras, d’une main rigide qui se cramponnait. Pour rien au monde elle n’eût voulu qu’il la laissât avec d’Orsacq dans ce refuge isolé. L’averse redoublait cependant, au point que le toit au-dessus d’eux ne les protégea plus et que la pluie les atteignit par petites rigoles.

Boisgenêt ne décolérait pas.

« C’est idiot de rester ici nous faire tremper.

— Et dehors ? objecta Christiane qui ne le lâchait pas.

— Oui, mais on change aussitôt de vêtements. Moi, je m’en vais.

— Tu as raison, Boisgenêt, approuva le comte. À ton âge, c’est dangereux de rester mouillé. Tiens, emporte donc ma pèlerine. »

Christiane s’interposa.

« Mais non, voyons… c’est absurde… ou alors partons aussi…

— Sous cette pluie battante ? » ricana d’Orsacq.

Ils se querellaient tous les trois : Boisgenêt résolu à se sauver, Christiane l’en empêchant, et le comte essayant de mettre sa pèlerine sur le dos de Boisgenêt et de le pousser hors du refuge.

L’incident prit fin par l’irruption du ménage Bresson. Léonie se lamentait et plaisantait.

« Je suis trempée ! ça me coule dans le dos. Au secours ! Dieu, que c’est froid !… Mais, dites donc, il tombe des seaux d’eau, ici. »

Bresson interpella le comte :

« Vous avez vu ?…

— Quoi ?

— Ah ! c’est vrai, d’ici, vous ne pouvez apercevoir la fenêtre.

— Quelle fenêtre ?

— Celle de la tour… vous savez, la grande fenêtre de la bibliothèque ?

— Eh bien ?

— Elle s’est ouverte brusquement.

— Et après ?

— Après ? Quelqu’un a enjambé le balcon et a sauté dans le vide.

— Ah ! non, s’écria le comte en riant. Vous ne m’aurez pas, cette fois-là, mon vieux. Votre femme a déjà voulu nous mystifier avec son marc de café. Ça ne prend plus.

— Je vous jure, d’Orsacq. Un rayon de lune passait, à cet instant, et j’ai vu distinctement. N’est-ce pas, Léonie ?

— Tu es fou. Je n’ai rien vu, moi.

— Je t’ai avertie trop tard. C’était fini.

— Une lubie que tu as eue… Une hallucination…

— C’est cela ! Une bonne petite hallucination, plaisanta d’Orsacq qui ne pensait qu’à retenir Christiane.

— Je vous jure… »

Mais Boisgenêt avait profité de l’inattention et s’était enfui. Le ménage Bresson s’en alla aussi. En toute hâte, Christiane prit sa course, suivie par le comte d’Orsacq.

L’horloge du château sonna le quart après dix heures.



III

À moitié route, ils rencontrèrent le maître d’hôtel et les domestiques qui apportaient des parapluies ; puis la fem-