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devant Boisgenêt. Qui est ce qui vous a permis d’embrasser Amélie ?

— C’est votre bonne amie ?

— C’est ma femme.

— Crebleu ! mais il fallait me prévenir ! dit Boisgenêt avec calme. Et moi qui voulais vous demander de vous entendre avec elle pour qu’elle m’apporte mon chocolat du matin dans mon lit.

Ravenot était hors de lui. Il grinça, les poings serrés :

— Je vous retrouverai, vous. Si jamais vous me tombez sous la patte ! D’abord c’est vous, sans doute, qui avez dérangé ce fauteuil, n’est-ce pas ?

— Et c’est lui qui barbote les cigares… plaisanta la femme de chambre.

— Toi, grogna Ravenot, si je te repince à tourner autour de ce vieux-là !… »

Une bouffée de musique pénétra dans la pièce avec Vanol qui grogna d’un air exaspéré :

— Zut ! Le phonographe maintenant !

Ravenot s’en allait. En passant, il bouscula Boisgenêt, mâchonna une injure, prit sa femme par le bras, et sortit.

« Quelle brute ! ricana Boisgenêt. Il est furieux parce que j’ai embrassé sa femme. »

Vanol se moqua.

« Tu embrasses donc les femmes de chambre ?

— À l’occasion, et devant les maris.

— Celui-là aurait dû te remercier.

— C’est un goujat.

— Ravenot ? Il me plaît beaucoup.

— Évidemment, dit Boisgenêt.

— Pourquoi, évidemment ?

— Parce qu’il me déplaît. Tu ne penses et tu ne juges que par opposition avec moi. Un cigare ?

— Avec plaisir.

— Évidemment. Tu fumes parce que je ne fume pas. Tu ne fumerais pas si je fumais.

— Alors, pourquoi m’offres-tu ce cigare ?

— Pour te montrer ton esprit d’opposition. Je suis ruiné, tu es riche. Je ne fiche rien, tu travailles. Je vois la vie en rose poupon, toi en noir corbillard. Je suis bien habillé, tu es vêtu comme un laissé-pour-compte. Bref, toujours le contre-pied de ce que je fais.

— Qu’est-ce que tu as, ce soir ?

— Comme toujours, de bonne humeur.

— Pas comme moi. Tous ces gens-là m’embêtent.

— Moi, je les trouve charmants.

— D’Orsacq, charmant ? Un homme à femmes, sans scrupules !

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? La tienne t’a quitté.

— Un spéculateur ! Un gentilhomme qui fait des affaires ! Et quelles affaires ! Bigre, je ne voudrais pas être entre ses griffes. Heureusement que j’ai du flair !

— Tu as de la bile surtout. Voyons, quoi, c’est joyeux ici. Les invités sont aimables.

— Le ménage Debrioux ? Parlons-en ! Elle, Christiane, une tragique ! Lui, Bernard, un sombre, un malchanceux acculé à la faillite.

— Qu’en sais-tu ?

— Des bruits qui courent.

— Et le couple Bresson ? Voilà de la gaîté…

— Oui ! Oui ! des gens qui voyagent avec un phonographe, une valise de T.S.F., un accordéon et des feux de Bengale. Tous les talents de société. Petits jeux, lignes de la main, tables tournantes. Rien de plus horripilant. Tiens, les voici. Veux-tu parier que Bresson va