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Du reste, n’est-ce pas pour moi indispensable que d’étudier le crime pour connaître le criminel ? Ce n’est pas dans les livres qu’on apprend la médecine, c’est à l’hôpital ; ce n’est pas dans un bureau fermé que se résout l’inconnue de la responsabilité ou de l’irresponsabilité d’un sujet. Mon laboratoire, c’est le grouillement de larves humaines qui s’agitent dans les bas-fonds de la grande ville, et j’analyse l’écume de la société, comme un chimiste analyse un corps composé d’éléments encore ignorés…

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Quand il eut terminé son rapport, le docteur Lamar revint à sa table de travail.

Onze heures venaient de sonner. Il avait dicté deux lettres et s’apprêtait à en commencer une troisième, quand la porte qui donnait dans le bureau des secrétaires s’ouvrit.

Un employé parut et s’avança vers son chef :

— Une lettre pour vous, monsieur le docteur.

Max Lamar prit la lettre qu’on lui tendait et l’ouvrit, pendant que l’employé rentrait dans son bureau.

En lisant, Max Lamar tressaillit imperceptiblement. Une expression de vif intérêt passa sur son visage. Il posa la lettre devant lui et resta silencieux et pensif.

— Mademoiselle Hayes, dit-il enfin à sa sténographe il est probable que je ne viendrai pas ici ce tantôt, et pas demain non plus, peut-être. Préparez la copie en double expédition du rapport que je viens de vous dicter. Tout à l’heure, en sortant, je donnerai mes instructions aux secrétaires…

» Je vais avoir beaucoup à faire pendant quelques jours, ajouta-t-il à demi-voix et comme se parlant à lui-même… et c’est une besogne qui vaut la peine que je la fasse moi-même. »

Enfoncé dans son fauteuil, il s’absorba dans ses réflexions et seul le frémissement de ses narines indiqua son excitation intérieure.

— Oui, reprit-il après quelques minutes de silence, une besogne qui en vaut la peine… Vous ferez demander à l’administration le dossier de Jim Barden, mademoiselle Hayes… Je vais avoir sans doute à le compléter…

— Le dossier de Jim Barden ? Bien, monsieur, dit la sténographe, en prenant une note.

Elle leva les yeux sur son patron et ajouta :

— C’est un criminel, monsieur ?

Mlle Hayes était curieuse comme toutes les femmes, mais elle était curieuse seulement pour sa satisfaction personnelle et non pas pour faire part aux autres de ce qu’elle avait appris. Le docteur Lamar savait qu’il pouvait compter sur sa discrétion et il savait aussi qu’elle lui était entièrement dévouée.

Aussi, il lui arrivait souvent de raconter dans le détail à Mlle Hayes les affaires qu’il poursuivait. C’était pour lui, estimait-il, un exercice excellent. Il aimait à « parler » les problèmes qui le préoccupaient, y trouvant souvent, en les exposant, des clartés nouvelles et l’avantage d’une utile mise en ordre de ses idées.

— Voici ce qui vous renseignera, mademoiselle Hayes, dit Lamar en lui tendant la lettre qu’il venait de recevoir.

La jeune fille lut ce qui suit :

« À Monsieur Max Lamar, médecin légiste.

 » Mon cher Max,

» Le fameux Jim Barden, que nous tenons emprisonné dans notre asile d’aliénés va, sur un rapport favorable du médecin-chef de l’hôpital, être remis en liberté.

» Je m’empresse de vous en aviser, afin que vous puissiez continuer l’active surveillance que vous avez toujours exercée sur lui.

» Bien cordialement à vous.

» Randolph Allen, chef de police. »

— Alors, Jim Barden est un fou ? demanda la sténographe.

— Vous voyez bien que non, puisque le médecin-chef lui signe son exeat, dit le docteur Lamar, avec un léger sourire.

Il eut un mouvement d’épaules et continua :

— Du reste, que Jim Barden soit fou ou non, c’est ce que je ne sais pas moi-même.