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Randolph Allen, dans ce même bureau de la Station centrale de police où l’avait laissé Max Lamar, travaillait toujours assidûment. Enfin, ayant dicté une dernière note de service à son secrétaire, il congédia celui-ci. La besogne du jour était terminée. Allen regarda sa montre et constata qu’en se hâtant un peu il arriverait au club à temps pour dîner avec Lamar. Satisfait, mais toujours impassible, il se coiffa de sa casquette pour sortir.

La porte s’ouvrit. Le secrétaire entra.

— Excusez-moi, monsieur, dit-il. Quelqu’un demande à vous voir.

— Qui est-ce ?

— Un jeune homme. Il est muet. Il dit — ou plutôt il écrit — qu’il vient de la part, du docteur Lamar. Il est dans mon bureau. Voici ce qu’il a écrit :

Le secrétaire tendit une feuille de bloc-note à son chef qui lut ces mots tracés au crayon :

« Je suis muet, mais j’entends parfaitement. C’est le docteur Lamar qui m’a envoyé pour voir le chef de police. »

« Lamar est infatigable se dit Allen, il a commencé son enquête dès ce soir. »

— Faites entrer ce jeune homme, ordonna-t-il à haute voix.

» Si j’arrive d’ici Noël, à dîner une fois avant minuit, je m’estimerai un homme heureux », continua-t-il pour lui-même, en posant sa casquette et en s’asseyant à son bureau pour recevoir le visiteur que le secrétaire introduisait.

Le visiteur était un jeune homme, — un adolescent plutôt, élégamment vêtu, au visage fin et intelligent, au teint brun, aux sourcils noirs et aux cheveux noirs sous une vaste casquette grise qu’il ne retira pas, ses mains finement gantées étant du reste embarrassées par une canne, un bloc-note et un crayon.

Il prit place dans le fauteuil que lui indiquait le chef de police et, sans se déganter, griffonna quelques lignes sur le bloc-notes, puis tendit la feuille à Allen.

« Je m’appelle Osborne, lut celui-ci. Je suis tailleur pour dames. Le docteur Lamar m’a chargé d’examiner le manteau qu’il a laissé aujourd’hui entre vos mains. »

— Vous allez le voir à l’instant même, dit tout haut Allen.

Il sonna, et au garçon qui se présenta : — Tom, apportez ici le manteau que je vous ai remis tout à l’heure.

Deux minutes après, M. Osborne, tailleur pour dames, examinait le manteau noir avec le plus grand soin. Quand il eut tourné et retourné sur toutes ses faces le vêtement, il le posa près de lui, reprit son crayon et présenta à Randolph Allen la communication suivante :

« Je suis à peu près persuadé que ce manteau est sorti de nos ateliers, mais, pour en avoir une certitude absolue, il faudrait que je l’emporte chez moi pour le montrer à mon chef tailleur. »

Allen, ayant lu, regarda M. Osborne.

— Votre chef tailleur est encore chez vous à cette heure-ci ?

« Oui » fit de la tête le jeune homme.

Allen réfléchit un moment.

— Très bien, reprit-il enfin. Je consens à ce que vous emportiez le manteau. Mais c’est une importante pièce à conviction dont je n’ai pas le droit de me dessaisir ainsi. Un de mes agents va vous accompagner et me le rapportera.

» Tom, appelez Mike : ordonna-t-il au garçon de bureau qui sortit.

Si cette précaution de Randolph Allen contraria M. Osborne, celui-ci ne le montra point. Il se contenta d’incliner la tête en signe d’acquiescement, de se lever et de plier le manteau noir qu’il mit sur son bras. Puis il attendit.