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— Mais, je t’assure, il s’occupe de moi, il me donne de bons conseils.

— Allons donc ! Sam Smiling ! Je les connais, ses conseils !… Ah ! tu « travailles » chez lui ? Mais alors… je comprends… Avoue donc : c’est lui qui t’envoie ?

Jim tremblait de colère. Il se contint cependant pour ne pas effrayer son fils et pour obtenir de lui un aveu complet.

— Eh bien, oui, murmura Bob, c’est lui qui m’envoie… Du reste, il n’y a rien à cacher, au contraire… C’est pour une bonne action, acheva-t-il avec emphase.

— Une bonne action ? lui ? fit le vieux Jim, dont les poings se crispaient. Enfin, raconte… après tout… on verra…

— Voilà… prononça Bob, qui ne se défiait plus. Il paraît qu’il y a trois ans, vous avez rendu tous les deux service à un banquier très riche, là-bas, dans le Far-West. Et il vous a dit que si vous veniez à San Francisco, où il habite, il faudrait aller le trouver, que, s’il était absent, sa fille vous recevrait, il la préviendrait… Pour qu’elle vous reconnaisse, vous n’auriez qu’à lui présenter, à sa fille…

— Présenter quoi ?

— Eh bien, un bracelet… un bracelet de corail, qui t’appartenait à toi… et qui avait appartenu à…

— À ma femme, dit Jim d’une voix sourde.

— Et alors, un jour, paraît-il, il y a eu une dispute entre toi et Sam et le bracelet a été cassé. Sam en a pris la moitié… Maintenant le banquier voyage en Europe et Sam a appris, par hasard, qu’on veut le dévaliser… Alors, il veut prévenir la fille, mais pour qu’elle ait confiance en lui, il te demande l’autre moitié du bracelet… Tu vois comme c’est simple.

— Oui, dit Jim, qui faisait tous ses efforts pour rester maître de lui… Oui, c’est très simple… Il ne s’est pas donné de mal pour inventer ça, Sam Smiling. Mais il me croit donc devenu idiot pour me laisser prendre à une histoire aussi grossière… En effet, il veut inspirer confiance, il ira à San Francisco, et, une fois dans la maison il volera, il assassinera… et tu seras son complice.

— Je pensais bien que tu refuserais, murmura Bob ; mais il a voulu à toute force que j’essaie…

— Et c’est lui qui t’a amené ici, c’est lui qui te tenait par la corde ?…

Jim s’interrompit. Sa colère montait et l’étouffait. Un silence sourd pesa sur le père et sur le fils. Dans l’angle où ils se trouvaient, la seconde lucarne les éclairait un peu et sa lumière tombait sur les mains frissonnantes du vieux Jim.

Et soudain, Jim s’aperçut que son fils, dont l’épaule touchait la sienne, s’était mis à trembler ; il entendit sa voix gémir, avec une épouvante inexprimable :

— Ah ! le Cercle rouge !… le Cercle rouge sur ta main… Ne me fais pas de mal… Grâce… c’est Sam qui m’a forcé à venir…

Jim ne bougea pas d’abord. Il savait bien que le Cercle rouge s’était dessiné sur le dos de sa main droite, et que l’horrible stigmate connu de son fils et connu de tous, que l’horrible stigmate, marque visible de ses instincts criminels, s’arrondissait en une couronne de sang sur la peau rugueuse. Il le savait au bouillonnement de ses idées mauvaises, au déchaînement des forces irrésistibles qui le poussaient à la violence…

Une minute s’écoula, terrifiante, Bob tremblait toujours sans avoir le courage de fuir, ou de se défendre, sans pouvoir jeter un cri d’appel. Le père se raidissait dans une tension de toute son énergie, qui gonflait ses muscles comme des cordes.

Et le Cercle, rose d’abord, puis rouge vif, s’empourprait d’un afflux de sang qui lui donnait une sorte de relief au-dessus de la peau.

— Le Cercle rouge ! bégaya Bob… j’ai peur… j’ai peur… le Cercle…

Il n’acheva pas. Son père l’avait saisi à la gorge de ses deux mains exaspérées, et l’adolescent s’écrasa sur le parquet.

Il n’y eut pas de lutte, il n’y eut pas de résistance. Jim, à genoux, implacable, serrait.

Dans l’ombre, le stigmate étincelait ou, du moins, Jim croyait en voir le scintille-