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de jamais, mettez deux cents dollars et c’est fait…

À peine la vieille eut-elle prononcé le chiffre qu’elle le regretta, le trouvant trop faible, et ce sentiment s’accrut considérablement lorsqu’elle vit la personne mystérieuse compter sans hésitation des billets de banque jusqu’à concurrence de la somme fixée.

— Je vois que j’ai été trop raisonnable, comme toujours, marmotta la vieille, dont les yeux, à la vue de l’argent, avaient étincelé.

Fouillant dans sa jupe en loques, elle sortit une petite boîte, l’ouvrit et y prit la moitié d’un bracelet de corail brisé.

Mais, se ravisant, elle eut un mouvement de décision brusque :

— Et puis, non, quoi ! c’est trop bête ! articula-t-elle. Voyons, ma petite dame, vous savez bien ce que ça vaut ce bout de corail, ou plutôt ce que ça peut valoir si on sait s’en servir… des mille et des cents…

— Je ne comprends pas, murmura Florence étonnée…

— Vous ne comprenez pas ? En voilà une blague ! Pourquoi donc que vous voudriez l’avoir, si vous ne saviez pas l’histoire… Oui, oui, l’histoire du banquier de San Francisco. Je la connais bien, moi qui vous parle, et si j’étais à même de m’en servir… je vous jure que ça ne traînerait pas… Seulement Sam, lui, il ne veut pas marcher… Comme je vous l’ai dit, quand l’honnêteté est en jeu, avec lui rien à faire. Il en est bête, ma parole !… Mais ! vous et moi, on sait à quoi s’en tenir, pas ? On n’a pas besoin de s’en conter… Qu’en dites-vous ? Parlons franc : chaque moitié de corail, oui, ça vaut peut-être deux cents dollars… Mais le bracelet complet… Dame, ça vaut… Alors l’autre moitié, hein ? c’est vous qui l’avez ? Donc, c’est convenu ? On monte l’affaire à nous deux. Je trouverai les gens qu’il faudra… Et on partagera les bénéfices ?…

Florence ne répondit pas. Elle s’efforçait de dissimuler la frayeur qui commençait à la saisir. Qu’était-ce donc que cette vieille femme ?

Elle eut envie de s’enfuir et de renoncer au bracelet de corail et au souvenir qu’il représentait pour elle, mais quelque chose de plus fort que la peur l’arrêta.

Au bracelet s’attachait tout à coup une valeur nouvelle, que Florence ne comprenait pas bien encore, mais dont elle avait l’intuition profonde. Avec ce bracelet quelqu’un pouvait faire le mal, — les paroles de la vieille étaient claires, — quelqu’un pouvait préparer un complot et l’exécuter.

Cela Florence voulait l’empêcher, et pour l’empêcher il fallait qu’elle eût elle-même les deux moitiés de corail pour que personne ne pût jamais les réunir, jamais s’en servir…

— Eh bien ! ma petite, on se décide ? on accepte ?

— Non, fit Florence résolument.

Elle se sentait indomptable. Aucun péril n’eût été capable de l’effrayer à cette minute-là.

— Tu ne veux pas ? C’est bien entendu ? Tu ne veux pas ?

— Non !

Avec une agilité que sa corpulence et son apparente décrépitude n’eussent pas permis de soupçonner, la vieille eut un mouvement rapide et tenta de saisir la femme en gris, d’arracher son voile. Mais elle se rejeta en arrière brusquement. Florence s’attendait à quelque assaut de ce genre, et un petit revolver brillait dans sa main gantée.

— C’est malheureux si on ne peut pas plaisanter un brin, grogna la vieille, subitement matée. Alors quoi ! tu veux l’affaire à toi seule ? Tu es gourmande ma belle… Et tu joues gros, vois-tu ; c’est dangereux, je te préviens… Enfin tu te débrouilleras… Et puisqu’il n’y a pas moyen de s’arranger autrement… donne l’argent.

D’une main elle tendit l’objet et de l’au-