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La vieille s’avançait lentement, courbée en deux sur un bâton. Énorme, poussive, vêtue de haillons disparates, un fichu noir enveloppant sa tête grise, un garde-vue vert rabattu sur les yeux, elle cheminait avec un souffle asthmatique.

Arrivée, auprès de Florence, elle s’arrêta. La jeune fille chercha une aumône, mais la vieille, accotée devant elle, sur son bâton, secoua la tête.

— C’est pas ça, ma belle, dit-elle d’une voix sourde, éraillée et rauque. J’ai besoin de rien… Mes souliers sont réparés… J’ai vu le cordonnier.

La vieille appuya sur les derniers mots. Florence, qui comprit l’allusion, tressaillit, stupéfaite et déconcertée.

À l’examen, la mendiante ne semblait pas si décrépite qu’on l’eût dit tout d’abord, et, sous le garde-vue, ses yeux, qu’elle fixait sur Florence, brillaient d’une vie sournoise.

— Je viens pour la moitié de ce qui est rond, continua l’étrange mendiante. Vous comprenez ?

— Oui, dit Florence d’une voix brève, qui ne lui était pas habituelle. Le bracelet…

— C’est ça, dit la vieille. Je vois que c’est bien vous qui avez envoyé la lettre qu’a portée le gamin.

Florence fit un signe de tête affirmatif.

— Cette lettre-là ? insista la vieille, en montrant la lettre que Florence, quelque temps avant, avait remise à Johnny.

— Oui, dit seulement Florence.

— Je vois que vous n’êtes pas bavarde, ma belle. C’est pas commode pour causer… Enfin, dans la lettre, il est dit que vous savez que le cordonnier a la moitié d’un bracelet de corail, dont l’autre moitié appartenait à l’homme qui est mort, Jim-Cercle-Rouge, qui était son ami. Et, dans la lettre, il est dit que vous offrez cent dollars de cette moitié de bracelet, et, si c’est oui, qu’on le dise au gamin et qu’on vienne vous rejoindre ici. C’est ça ?

— Oui.

— Alors, continua la vieille, faut vous dire que moi qui vous parle, — je suis revendeuse quand ça se rencontre, la mère Sally, c’est bien connu, — alors donc, moi et Sam on est deux amis. On fait des affaires et des fois je mets son ménage en ordre, — dame, un homme tout seul, ça ne sait pas. Alors un jour j’ai trouvé, en rangeant, cette moitié de bracelet. Sam m’a dit que c’était un souvenir et qu’il y tenait. Et puis j’étais là tout à l’heure quand il a reçu la lettre, qu’il m’a montrée. Lui, Sam, il ne voulait pas venir. Cet homme-là c’est une bête à bon Dieu… Il se laisse dindonner par tout le monde… Quand quelque chose est louche il ne marche plus. Dame, l’honnêteté on a ça dans le sang. Bref je suis venue à sa place sans rien lui dire, et moi je pense que cent dollars c’est pas assez pour une chose comme ça…

Florence ne répondit rien.

— Parce que ça peut valoir peut-être beaucoup plus au bout du compte ce bout de corail… Et puis c’est le souvenir, hein ? Enfin ce qu’il y a de sûr, c’est que cent dollars, c’est une somme, je ne dis pas. Et puis, j’aime à obliger. Bref, je ne marchan-