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— Non, protesta Jim, c’est idiot ! on va te surprendre !

Il avait reculé, et il vit son fils qui se laissait glisser le long de la planche.

Jim redescendit dans la cellule. Bob, adolescent long et mince, et qui semblait désarticulé comme un acrobate, passa sans trop de peine par la lucarne et rejoignit son père. Il défit le lien fixé à sa ceinture.

Tout cela n’avait pas duré deux minutes.

Le soleil avait dû disparaître derrière les hautes maisons voisines, l’ombre était plus lourde au creux de la cellule, et c’est à peine si Jim distinguait les traits de son fils.

Il murmura :

— Pas de bruit… le gardien est là…

Il appuya sa main sur l’épaule de Bob, le poussa à un endroit où on ne pouvait pas le voir de la grille et chuchota d’une voix brève et dure :

— Qu’est-ce que tu veux ?… Pourquoi es-tu venu ? Parle…

Bob subissait la réaction de son effort excessif et du danger couru.

Peut-être aussi avait-il peur de son père. Il était blafard et haletait. Enfin, il commença un récit gémissant de son entreprise. Il avait eu l’idée, « avec un de ses amis », de monter sur le toit de l’immeuble voisin ; il avait hésité en face des lucarnes…

— Je ne savais pas laquelle c’était… Et comment t’avertir ? Trois fois, nous sommes venus…

Jim l’interrompit :

— Cesse de baliverner. Parle… Pourquoi es-tu venu ? Que veux-tu de moi ?…

— Eh bien ! mais… balbutia Bob… voilà… peut-être bien que tu pourrais t’évader…

— M’évader ? par quel moyen ? Je ne suis pas une couleuvre, moi… Et puis, tu sais bien que je ne veux pas m’évader ! Un bandit de mon espèce doit rester dans sa cage… Ici, je ne peux pas nuire !… J’ai fait trop de mal, déjà…

Il jeta ces mots, d’une voix sombre. Puis, ayant réfléchi, il ajouta :

— D’ailleurs, tu mens. Tu ne tiens pas tant que ça à ce que je sois libre… Tu ne vas pas me parler d’affection, hein ? Ce n’est pas un sentiment qui te gêne… Ni moi non plus, du reste… Tu as fait ce qu’il fallait pour ça. J’aurais voulu un fils… un vrai fils, quoi… Un homme, un travailleur, vivant d’un métier honnête… au lieu de ça…

Il n’avait pas lâché l’épaule de Bob, il la serra d’une main brutale.

— Qu’est-ce que tu fais, maintenant ? Il y a six mois, quand j’étais encore libre, je t’avais trouvé une place sérieuse… Quoi ? Qu’as-tu dit ? On t’a renvoyé ? Et alors ? Comment vis-tu ? Chez qui travailles-tu ? Car tu travailles, j’espère ?

— Oui, je travaille, grogna Bob.

— Chez qui ? Réponds donc !

— Chez… chez Sam Smiling.

Jim sursauta.

— Chez Sam Smiling !… Chez ce cordonnier de malheur !… Ah ! par exemple…

— Mais c’est un de tes amis ! risqua Bob.

— Tais-toi ! C’est un bandit !… un vrai bandit, lui ! Il sait ce qu’il fait… il sait toujours ce qu’il fait…