Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bauman, sans avoir de plan bien arrêté, me fiant à l’inspiration du moment. Mais si vous saviez, Mary, comme je me sentais forte, lucide, adroite, résolue… Je n’ai pas eu peur une minute. Il me semblait qu’alors seulement j’étais moi-même. Bauman n’était pas là. Je l’avais vu dans la rue. Je me suis introduite dans son bureau, mais il n’y avait aucun papier. Bauman est rentré. Je m’étais cachée dans l’embrasure d’une fenêtre. Il a ouvert une cachette à secret, une armoire blindée, grande comme une petite chambre, il en a retiré un paquet de papiers, précisément, ceux dont je voulais m’emparer. Il les a posés sur sa table et il est rentré dans l’armoire blindée. Alors, je suis sortie des rideaux. Doucement, j’ai fermé sur lui la porte à secret. J’ai brouillé la combinaison et je me suis emparé des papiers.

— Mais cet homme pouvait être asphyxié, dit Mary, terrifiée par le calme de la jeune fille. Il a failli mourir.

— C’est vrai, murmura Florence. Je n’y ai pas pensé. Du reste, cela ne m’aurait pas arrêtée… Je ne pensais à rien autre qu’à m’en aller sans encombre… C’est alors que j’ai eu l’idée de prendre une des cartes de Karl Bauman pour écrire dessus en imitant son écriture, que j’avais sous les yeux, un ordre à son chauffeur de me conduire où je voudrais. Pendant une heure, je me suis fait promener par la ville pour dépister les recherches… Je vous assure, je pensais à tout. Et je me trouvais si à mon aise, au milieu de tout cela.

— Et vous avez volé, vous avez fait un faux, vous avez failli tuer un homme, murmura la gouvernante… Vous, Florence, vous avez fait cela ?…

— Moi… ou une autre, dit la jeune fille, en secouant la tête. Je vous ai dit que je n’étais plus la même. Du reste, tuer un homme comme Bauman ne me semblait pas du tout un crime, acheva-t-elle avec sang-froid.

Il y eut un silence. Florence reprit :

— L’auto m’a arrêtée au parc. Vers la fin, j’avais vu qu’une voiture nous suivait. Je suis descendue. Je me suis cachée dans un massif, j’ai jeté mon voile noir. J’ai plié mon manteau du côté blanc et je suis rentrée ici. Au parc, quelques minutes après m’être transformée, j’ai rencontré le docteur Lamar…

La jeune fille s’arrêta une seconde, et, plus bas, comme malgré elle :

— Il a regardé ma main…

— Votre main ? Qu’y a-t-il sur votre main ? cria Mary, en se dressant, frémissante.

— Il y a… Mais, à ce moment-là, cela n’y était pas, murmura, dans un souffle, Florence, tremblante. Il y a sur ma main…

» Tenez, tenez, regardez ! cria-t-elle soudain, voici que cela revient. Là, là, sur ma main droite !… Cette marque circulaire, qui monte, qui se fonce, qui devient rouge écarlate…

La gouvernante, livide d’horreur, ne pouvait parler.

— Le Cercle Rouge, murmura-t-elle enfin. Que Dieu nous protège !

— Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? dit Florence, haletante. Cela m’est venu pour la première fois après qu’à l’asile, j’avais été voir cet homme qui s’est tué… Depuis, c’est revenu plusieurs fois…

» Mary, cria-t-elle éperdue, vous savez ce que c’est ? Vous le savez ? Dites-le-moi ! Qu’est-ce que c’est ?

Mais la vieille gouvernante, accablée, secoua la tête négativement.

Elle se leva et sortit lentement de la chambre, où Florence regardait de ses yeux dilatés, sur sa main droite, le stigmate mystérieux, qui, maintenant, décroissait peu à peu.


fin du deuxième épisode