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M.  Bauman lut :

« Monsieur Job Peterson,

» Les reconnaissances à intérêts usuraires que vous avez souscrites à Karl Bauman… »

M.  Bauman n’acheva pas. Il sentait qu’il perdait la raison. Son toupet dansait sur sa tête. Il grimaçait, et bégayait. Il jeta dehors le vieux Peterson et se rua lui-même dans le salon d’attente.

— Allez-vous-en ! hurla-t-il à ceux qui l’attendaient, et qui, tous, étaient ostensiblement porteurs de la lettre libératrice. Allez-vous-en avec vos damnées lettres, voleurs que vous êtes ! On m’y reprendra à vous obliger ! Mais ça ne se passera pas comme ça ! On verra ! On verra ! Larkin, mettez-les dehors !

Larkin obéit, et Mary dut, avec les autres, quitter la banque.

— J’en deviendrai fou ! j’en deviendrai fou ! gémit M.  Bauman. Et il prit son chapeau pour se précipiter à la station centrale de police afin de mettre au courant de ses nouveaux malheurs Randolph Allen et Max Lamar, avec qui il avait, la veille, pris rendez-vous.

Quand elle rentra à Blanc-Castel, Mary monta droit à la chambre de Florence, qui achevait de s’habiller pour sortir.

La veille gouvernante, sans mot dire, tendit à la jeune fille la reconnaissance à demi brûlée et signée Peterson, qu’elle avait trouvée dans les cendres.

La jeune fille prit le papier, le regarda, tressaillit, parut interdite et jeta la reconnaissance dans une grande potiche japonaise, placée sur la cheminée. Alors, Florence, un peu pâle, se retourna vers Mary, qu’elle regarda en face.

— Je viens de chez cet usurier qui a été… qui a été… qui a été volé, dit la gouvernante d’une voix sourde. Je voulais le voir, obtenir de lui quelques détails, apprendre ce qu’il y avait à redouter… Je ne sais pas… Flossie, mon enfant, pourquoi avez-vous fait cela ?… Pourquoi ?

Mary se laissa tomber sur un fauteuil et cacha sa tête dans ses mains. Florence s’approcha d’elle, s’agenouilla, et, tendrement, passa ses bras autour du cou de la pauvre femme.

— Mary, ma bonne Mary, ne pleurez pas… Voyons, trouvez-vous vraiment que j’aie fait mal ?… Oui, c’est moi qui ai volé Karl Bauman… C’est moi… ou plutôt non, ce n’est pas la Florence que vous connaissiez, votre petite Flossie… C’est une autre femme, énergique, décidée, active et habile, une femme sans scrupules, sans le moindre scrupule, qui est devenue moi-même.

— Mon enfant, que voulez-vous dire ? demanda Mary avec épouvante.

— Je ne peux pas m’expliquer…

Florence, les yeux fixes, semblait s’interroger elle-même :

— J’avais, par ma femme de chambre, entendu parler de ce pauvre Peterson, un brave homme chargé de famille, qui ne pouvait arriver à se libérer des griffes d’un usurier que je connaissais de nom. Alors, l’idée m’était venue de lui porter secours, de le délivrer, lui et aussi tous les autres pauvres gens que ce misérable de Bauman dépouille, pressure et ruine impitoyablement. Et j’ai pensé à m’emparer des reconnaissances… Ce n’était pas un projet, vous comprenez, Mary, c’était une de ces idées chimériques auxquelles on songe, sachant bien qu’on ne les accomplira jamais… Et puis, soudain, hier, je l’ai accomplie. Une volonté différente de ma volonté habituelle m’a saisie, m’a poussée à agir… J’ai mis mon manteau noir doublé de blanc, un voile noir très épais. Je suis allée chez