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des expressions diverses et rapides qui contractaient ses traits, expressions de fureur, de haine, de désespoir, de résignation farouche. Ses yeux s’emplissaient de ce rouge anneau insolite, de cette petite figure énigmatique qui semblait lui dire tant de choses terribles et douloureuses. Et, soudain, il parut souffrir à un tel point que, brusquement, il referma la porte du placard et s’en écarta.

Mais il n’avait pas fait quatre pas en arrière qu’il bondit sur lui-même, étouffant un cri de stupeur.

En face de lui, sur la partie du mur qui s’étendait entre le placard et la grille, sur cette surface lisse et brunie du plâtre nouvellement repeint, il y avait un cercle rouge.

Pas une seconde, il n’hésita et, si folle que fût l’idée qui assaillit son cerveau, il l’accepta aussitôt. Le cercle qu’il voyait, c’était celui-là même qu’il venait de dessiner.

En deux enjambées, il sauta jusqu’au placard : le premier cercle était là.

Mais alors, l’autre ?… l’autre qui jaillissait de la muraille nue ?…

Il tourna la tête et regarda de côté, en tremblant, avec l’espérance de ne plus le voir et la certitude profonde de le voir encore.

Il le vit.

Il le vit. Ses regards s’y clouèrent ardemment. Le second cercle était l’image du premier… en même temps, il en différait… En quoi ?… En quoi ?… Même grandeur, même aspect, même éclat sanglant… et pourtant…

À pas sournois, Jim se glissa le long du mur, et, tout à coup, projeta sa main violemment.

Il le tenait ! Il l’avait écrasé comme on écrase une bête nuisible ! Il l’avait anéanti ! Quel soulagement !

Il écarta la main. Cette fois, il ne put retenir un cri rauque qui déchira sa gorge.

Le cercle rouge était plus loin, à trente centimètres de distance.

Et voilà que se produisit la chose du monde la plus effarante : le cercle rouge bougea de nouveau ! Il se mit à danser sur la muraille nue, allant et venant, disparaissant, reparaissant, bondissant.

Sous nos paupières closes, un point de lumière qui persiste danse ainsi souvent, s’enfle et diminue, devient un disque frissonnant, se transforme en un anneau de clarté, se multiplie, se divise en feux follets qui jouent dans le temple fermé de notre vision. De même, Jim voyait — mais devant ses yeux grands ouverts — toute une fantasmagorie de cercles rouges, de points lumineux, de taches de sang, de couronnes écarlates, de boules enflammées qui tourbillonnaient en une ronde éperdue.

Sa raison s’égara. Il s’abattit sur le mur, et de ses poings formidables il frappa sans relâche, forcené, tandis que, de sa gorge, jaillissaient des cris incohérents.

— Eh bien ! Jim, qu’est-ce qu’il y a ? Encore tes accès de rage ? C’était le gardien que le bruit avait attiré et qui regardait entre les barreaux.

Jim recula et, par un effort, se maîtrisa, non pas qu’il eût peur, mais il ne voulait pas que le gardien entrât et vît le cercle rouge sur la muraille.

Le gardien examina l’homme durant quelques instants. Des gouttes de sueur baignaient le visage et le cou de Jim. Cependant, il paraissait maintenant calme et maître de lui.

— C’est fini, n’est-ce pas ? Un peu de silence à présent ! dit le gardien, qui s’éloigna.

Jim n’avait plus bougé. De nouveau, il regardait la muraille.

Le cercle rouge n’était plus là.

En même temps, par un phénomène inconcevable, mais dont il ne pouvait mettre en doute un seul moment la réalité affreuse, il avait la sensation nette, irrécusable, que le cercle rouge traversait l’étoffe de son vêtement, s’imprimait dans son dos, pénétrait dans sa chair et la brûlait comme un fer chauffé à blanc.

Sensation diabolique ! Et, pourtant, comment la nier ?

C’était intolérable. D’un coup, Jim sauta de côté, livrant passage à cette chose inconnue qui le torturait, et la chose se rua sur