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Smith et Larkin explorèrent les alentours d’un coup d’œil : nulle trace de l’auto. Ils échangèrent un regard ; après un premier moment de surprise ils prévoyaient la vérité.

M. Bauman eut un cri horrible, il comprenait à son tour.

— Volée ! on me l’a volée aussi !

Sa voix s’éteignit dans un râle. C’en était trop. Du coup, ses employés crurent qu’il allait mourir sur place. Des taches violettes marbrèrent sa face terreuse, ses yeux jaillirent de leurs orbites, l’émotion, l’indignation l’étranglaient, il chancela.

Mais un sursaut de rage et d’énergie lui rendit ses forces.

— Va me chercher une voiture ! cria-t-il d’une voix furieuse, à un gamin de sept à huit ans qui, dépenaillé, les pieds nus, debout sur le trottoir, regardait la scène en paraissant s’amuser beaucoup.

L’enfant, pour toute réponse, tendit sa main ouverte.

— Hein ? dit M. Bauman.

— On paie d’avance… Oh ! c’est que je vous connais bien, monsieur Bauman, papa a fait des affaires avec vous, expliqua d’un air tranquille le petit, qui n’était autre que Johnny, l’enfant du terrain vague.

— Petit misérable, veux-tu te sauver ! Larkin, une voiture ! ordonna M. Bauman suffoqué, en oubliant qu’il voulait garder à sa portée son garçon de bureau.

Celui-ci revint trois minutes après sur le siège d’une auto qui les emporta vers la station centrale de police.



VI

La femme voilée. — L’auto volée


Le chef de police Randolph Allen achevait de recevoir les rapports de ses inspecteurs et de leur donner des ordres, pour la soirée, lorsqu’on annonça le docteur Max Lamar, qui entra au même moment, avec la familiarité de quelqu’un qui se sent un peu chez lui.

Randolph Allen avait pour le médecin légiste une amitié vive et lui serra fortement la main, mais son visage rasé, impénétrable, resta figé dans une impassibilité de glace et n’ébaucha pas le plus léger sourire. Un sang-froid naturel, poussé jusqu’aux plus extrêmes limites par l’entraînement et la volonté, était la caractéristique du chef de police ; aucun homme au monde ne pouvait se vanter de l’avoir vu ému si peu que ce fût, en aucune circonstance, quelle qu’elle fût. Il estimait que cet imperturbable flegme que rien n’étonne, et qui enregistre tout sans jamais s’émouvoir, était la vertu maîtresse chez un policier, et il était fier de la posséder à un degré qu’il estimait lui-même éminent.

Cette petite manie mise à part, Randolph Allen était un excellent fonctionnaire, énergique, expérimenté et d’une perspicacité suffisante. Sa chance, en outre, était proverbiale et, dans ses délicates fonctions, qu’il exerçait avec un zèle assidu, il avait obtenu des succès répétés qui avaient établi solidement sa réputation. Il possédait cette qualité, rare chez un