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Florence, émue, jeta un regard de profonde reconnaissance vers ces braves gens.

Mais Gordon, qui comprenait que l’incident avait trop duré et pourrait, en se prolongeant, porter tort à la cause de Florence, fit de la main signe à Watson pour le prier de se retirer avec ses camarades.

Watson comprit le geste de l’avocat et, se tournant vers les ouvriers :

— Mes amis, notre conseil, notre ami, Me Gordon, nous prie d’arrêter notre manifestation. Le tribunal en aura sûrement compris la portée. Laissons à l’éminent défenseur le soin de faire triompher définitivement la cause de la justice.

Il y eut un dernier cri formidable :

— Vive Florence Travis ! À bas Farwell !

Et les ouvriers, obéissant à la parole de Watson, se retirèrent sans tumulte.

— De telles manifestations sont inadmissibles, déclara le président en reprenant le cours de l’audience. Gardes, veillez soigneusement à l’intérieur et aux portes. Docteur Lamar, je vous prie de continuer votre déposition.

La déposition de Max Lamar fut d’une grande sobriété. Il savait que le public s’attendait de sa part à une chaleureuse défense de Florence Travis avec laquelle, aux yeux de l’opinion, il s’était quelque peu compromis par un aveuglement que l’on attribuait à juste titre à l’amour que lui inspirait la jeune fille. Il s’était donc résolu à être extrêmement circonspect et réservé. Il s’était entendu avec Gordon et lui avait fourni tous les arguments d’ordre sentimental qu’il ne voulait pas apporter lui-même à la barre dans l’intérêt même de Florence. La plaidoirie de l’avocat était leur œuvre commune.

Le docteur Lamar se contenta donc d’énumérer les faits auxquels, pendant son enquête, il avait été mêlé et de rendre compte succinctement de chacun d’eux. Il le fit avec la plus grande impartialité et le plus grand calme, en ayant soin même de ne pas insister trop sur le caractère généreux des actes accomplis par Florence.

Max Lamar ensuite parla en tant que médecin légiste. Avec une parfaite clarté et une connaissance approfondie de la question, il exposa médicalement l’insolite problème du Cercle Rouge. Il exposa la théorie des influences héréditaires, cita des exemples de stigmation, et conclut en évoquant les cures accomplies par la suggestion et l’auto-suggestion. La volonté était toute puissante sur certaines manifestations de déséquilibre nerveux. Elle pouvait en empêcher définitivement le retour. Florence Travis pouvait-elle guérir ? En son âme et conscience de médecin, hardiment, il répondait : Oui.

— Je laisse à l’honorable défenseur, dit-il en terminant, le soin de tirer de ces explications la conclusion qu’elles comportent.

Le docteur Lamar reprit sa place au milieu d’un murmure général d’approbation. Florence attachait sur lui des yeux pleins de gratitude.

Le défilé des témoins commença.

Ce fut d’abord le sieur Karl Bauman, l’usurier sur qui s’était en premier lieu exercée la justice de la dame au Cercle Rouge.

M. Bauman, volubile et agité, prit la parole avec feu. Il peignit en termes pathétiques les souffrances qu’il avait endurées lorsqu’il s’était trouvé captif, dans son cof-