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importante question : Florence Travis est-elle ou non responsable ?

Après avoir prêté serment, il se tourna de trois quarts, faisant en partie face au public afin d’en être mieux entendu.

Mais à peine avait-il pris la parole qu’il s’arrêta brusquement.

Dans la salle du tribunal, par la porte du fond, une femme venait d’entrer, une femme à cheveux blancs, vêtue de noir, au maintien grave, au visage pâle, aux yeux brillant d’un émoi fiévreux.

C’était Mme Travis.

Florence, qui ne quittait pas Max Lamar des yeux, le vit regarder avec étonnement vers le fond de la salle. Elle suivit son regard et aperçut à son tour celle qui l’avait aimée d’un amour maternel et qu’elle-même n’avait jamais cessé de chérir filialement.

Florence tressaillit. Une profonde émotion anima ses joues, mouilla ses yeux, gonfla sa poitrine et elle tendit ses bras vers Mme Travis sans pouvoir retenir ce cri d’enfant qui appelle à l’aide :

— Maman !

Mme Travis, rapidement, fendit la foule, ouvrit la barrière et, se précipitant vers Florence, l’étreignit dans ses bras avec une tendresse éperdue. Puis elle se retourna vers les juges et, frémissante, haletante, ses mains tendues nerveusement, elle s’écria :

— Elle est ma fille, ma vraie fille, et elle est toute ma vie. Rendez-la moi ! Ne brisez pas le cœur d’une mère !…

L’émotion gagnait la salle entière. Des femmes pleuraient et de nombreux assistants manifestaient tout haut leurs sentiments de pitié.

— Je me verrai obligé de faire évacuer la salle, déclara le président, si cet incident pénible doit se prolonger. Veuillez, madame, vous calmer, dit-il à Mme Travis. Je vous autorise à rester, mais je vous préviens que si votre présence doit provoquer de nouveaux désordres, je vous demanderai de vous retirer.

Gordon, aidé de Randolph Allen, sépara doucement les deux femmes qui, de nouveau, étaient dans les bras l’une de l’autre.

Mme Travis s’assit en pleurant auprès de Mary.

L’audience reprit, mais ce fut pour peu d’instants. Il était dit que les coups de théâtre se succéderaient.

Une rumeur sourde, venue de l’extérieur, s’éleva et s’amplifia soudain au point de couvrir la voix du docteur Lamar qui commençait sa déposition.

Les gardes et une partie des policiers se précipitèrent au dehors.

Les ouvriers de la Coopérative Farwell, en un groupe compact, avaient gravi les marches du palais de justice.

À leur tête se trouvait Watson qui les entraînait de la voix et du geste.

— Elle est innocente ! criait-il. Florence Travis est innocente ! N’est-ce pas, camarades, que nous ne laisserons pas condamner celle qui a toujours été secourable aux malheureux et qui, loin d’être une criminelle, a servi la justice en faisant rendre gorge au misérable qui nous exploite et qui nous vole ? C’est lui qui devrait être au banc des accusés !

— Oui ! Très bien ! À bas Silas Farwell ! Vive Florence Travis !

La surexcitation des ouvriers grandissait. Ils se pressaient autour de Watson, mais, comme ils voulaient pénétrer dans la salle d’audience, les gardes de service essayèrent de s’y opposer.

Tentative vaine : le flot populaire fut le plus fort. Ce fut inutilement que la police débordée, voulut le refouler. Le barrage établi par les gardes fut enfoncé. La porte s’ouvrit sous la poussée formidable des assaillants, qui pénétrèrent dans la salle en criant :

— Justice !… Justice ! Vive Florence Travis ! Elle est innocente ! À bas Farwell !