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était mon enfant, mon véritable enfant, et que cette substitution a conduit au malheur et à la mort… Car c’est lui, il n’y a aucun doute, c’est lui que Jim Barden a gardé et qu’il a fini par assassiner avant de se faire justice lui-même… Mon fils… Mon fils… il aurait vingt ans maintenant, il serait un homme, il serait mon appui, mon soutien, ma fierté, mon bonheur.

Un flot de larmes ruissela sur les joues de la pauvre femme. Elle pleurait sur ce fils qu’elle n’avait pas connu, dont elle ne savait rien, sinon qu’il avait péri d’une mort trafique.

Et, tout à coup, elle fut prise d’un ardent désir d’être renseignée avec exactitude : elle se dit que c’était son devoir et qu’un seul homme pouvait la renseigner, à qui elle oserait s’adresser : le docteur Lamar.

Sur-le-champ, elle se rendit chez lui. Lamar travaillait dans son bureau, où un secrétaire introduisit Mme Travis.

— Excusez-moi, docteur, de vous interrompre dans vos travaux, dit-elle d’une voix qui tremblait, mais j’ai des questions urgentes et précises à vous poser. J’espère que vous voudrez bien y répondre.

— Je ferai tout ce qu’il me sera possible pour vous satisfaire, madame, répondit-il.

— Eh bien ! dites-moi tout ce que vous savez sur mon fils.

La vieille dame avait parlé vite et bas, et en même temps ses joues pâles s’étaient empourprées.

— Votre fils ? répéta Max Lamar, saisi d’étonnement.

— Oui, mon fils. Je veux savoir ce qu’il était comment il a vécu, s’il a bien souffert, ce pauvre enfant victime de la plus affreuse fatalité… si c’est vraiment la fatalité qui a voulu cette substitution affreuse, si ce n’est pas quelque calcul abominable qui n’a pu être mené à bien par le bandit qui l’a imaginé. Sur mon fils, pour qui j’ai été sans le vouloir une si mauvaise mère, je ne sais rien, rien… que sa mort, acheva-t-elle en se contraignant avec peine pour ne pas éclater en sanglots.

Max Lamar resta un moment silencieux. Il avait reçu la vieille dame avec la plus parfaite courtoisie, mais sans cette affectueuse sympathie qu’il lui témoignait naguère. Il jugeait sévèrement son attitude impitoyable à l’égard de Florence. Mais à entendre la voix brisée de Mme Travis, à voir l’expression de son visage, il fut saisi d’une pitié infinie. Pourtant le sujet était pénible et il ne savait trop que répondre.

— Madame, dit-il enfin, je ne sais ce qu’est devenu votre fils…

— Non, non, ne dites pas cela, interrompit Mme Travis. Je veux entendre la vérité, docteur Lamar. Vous savez aussi bien que moi que mon fils me fut enlevé pendant que j’étais sans connaissance et à l’heure même où mon mari était tué, qu’il a été emporté par l’horrible bandit qu’on appelait Jim Barden, et que marquait à la main ce stigmate de crime et de honte qui engendre le malheur autour de ceux qui le portent… Vous savez que Jim Barden, de bonne ou de mauvaise foi, l’appelait son fils, et vous savez qu’il l’a assassiné puisque vous avez assisté à cette scène affreuse… Docteur Lamar, dites-moi ce qu’était mon fils, parlez-moi de lui, dites-moi ce que vous savez, tout ce que vous savez ?…

Max Lamar secoua la tête sans répondre.

— Je vous en conjure, insista Mme Travis. Vous ne pouvez repousser ma demande. Qu’est-ce qui vous arrête ? Je serai forte.

— Je vous en prie, dit Lamar d’une voix sourde, ne m’obligez pas à parler.

— Je le veux, au contraire, je l’exige.

— Vous le voulez ? vous l’exigez ? Eh bien, madame, voici ce qu’était celui que vous appelez votre fils.