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culper définitivement d’une façon éclatante.

Gordon, au tumulte de la rue, se leva et, gagnant le hall de réception, vit Silas Farwell qui, écroulé dans son fauteuil, défaillait d’épouvante et tressaillait nerveusement en entendant les rumeurs du dehors.

À la vue de celui qui avait provoqué tous ses malheurs et tenté de le déshonorer, Gordon devint fou de rage.

Écartant les membres du club qui entouraient le fauteuil, il se rua sur Silas Farwell, l’empoigna au collet et, avec une force dont il n’eût pas semblé capable, le souleva comme une plume et le maintint devant lui.

— Monsieur Farwell, lui dit-il d’une voix ferme, haute et distincte, vous allez, à l’instant même, reconnaître publiquement que l’accusation que vous avez portée contre moi était fausse et mensongère.

Et comme Farwell, espérant qu’on allait le dégager, ne répondait pas :

— Si vous hésitez une seconde encore, continua Gordon, d’une voix où vibraient la colère et la résolution, je vous traîne jusqu’à la rue pour vous livrer au juste ressentiment de ceux que vous exploitez sans pitié depuis des années. Entendez-vous leurs cris de fureur et de haine ?… Je puis encore les apaiser, et moi seul, qui fus leur conseil, suis capable de le faire. Reconnaissez que vous m’avez faussement accusé ! Reconnaissez que je suis innocent du vol abominable que vous m’avez imputé !

Farwell, malgré sa terreur, garda un sombre silence.

— Si vous ne faites pas l’aveu que je réclame de vous et qui n’est que la vérité pure et simple, vous le savez, continua Gordon, prenez garde que je ne réclame, pour que l’on connaisse votre caractère tout entier, une enquête complète et sérieuse sur votre passé… Avez-vous oublié la fiole verte ?…

Gordon avait prononcé ces dernières paroles à voix basse. Il s’interrompit. Silas Farwell, les cheveux hérissés, le front en sueur, la face livide, avait reculé de deux pas.

— Taisez-vous, râla-t-il, haletant d’épouvante. Taisez-vous. C’est faux… Je le jure… C’est faux…

Il fit un immense effort pour se reprendre et, d’une voix un peu affermie :

— Pourriez-vous réellement calmer la fureur de ces gens qui hurlent là dehors ? Me jurez-vous de le faire ?

— Oui, dit Gordon, je puis le faire et je le ferai. Allons, parlez…

Randolph Allen entrait à ce moment.

Il avait pu, grâce à son sang-froid et à l’énergie de ses hommes, arrêter, pour quelques instants, du moins, l’élan des manifestants. Il arriva dans le salon juste à temps pour entendre sortir l’aveu de la bouche de Silas Farwell :

— Monsieur Gordon, je reconnais que je vous ai faussement accusé.

Gordon, alors, inondé d’un flot de joie délirante, se tourna vers les assistants.

— Messieurs, et vous, monsieur le chef de police, je fais appel à votre témoignage et vous prie de bien vouloir enregistrer l’aveu que vient de faire M. Silas Farwell.

Gordon, ensuite, s’approchant de la fenêtre, fit un signe aux ouvriers dont l’agitation ne se calmait pas.

— Retirez-vous, leur cria-t-il, vous aurez justice.

Gordon était populaire à la Coopérative Farwell. Les ouvriers, qu’il avait toujours défendus, n’avaient jamais cru, on le sait, à sa culpabilité. Ils soupçonnaient que Silas l’avait fait tomber dans quelque piège abominable, et ils lui avaient conservé toute leur confiance et toute leur estime.

— Retirons-nous, mes amis, cria Watson. Notre ami et défenseur, l’avocat Gordon, nous en prie. Il doit avoir de bonnes raisons pour cela. Écoutons-le. Obéissons.

Les manifestants approuvèrent, et la