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Et Ponsow tendit son journal à Gordon, qui lut :

Dernière heure. — Nous apprenons que miss Travis, peu après son arrestation, a été mise en liberté provisoire et s’est retirée dans un petit appartement meublé avec sa fidèle gouvernante.

Grâce à l’intervention audacieuse et généreuse de Florence Travis les ouvriers de la Coopérative Farwell avaient pu se partager enfin l’argent dont ils avaient été si longtemps frustrés.

Ils ne surent pas d’abord le nom de celle qui leur avait si mystérieusement rendu leur bien. Elle était pour eux la dame au Cercle Rouge et, sans chercher à en apprendre plus long sur elle, ils la considéraient comme leur bienfaitrice et lui avaient voué la plus sincère et la plus enthousiaste reconnaissance. Le mystère qui enveloppait toute l’aventure lui donnait à leurs yeux plus d’importance encore. Les braves gens se rappelaient avec émotion la gracieuse silhouette de cette écuyère qui avait traversé leur groupe tumultueux pour jeter parmi eux la précieuse enveloppe contenant l’argent qu’on leur avait volé. Elle leur parut l’image même de la justice providentielle.

Leur stupéfaction fut grande lorsqu’ils apprirent l’arrestation de Florence Travis. Ainsi, c’était une jeune fille du monde, que sa situation mettait, bien au-dessus d’eux, qui s’était dévouée de la sorte, qui avait, pour leur venir en aide, risqué d’encourir toute la rigueur de la loi ?… Son intervention prit à leurs yeux un caractère nouveau de générosité admirable et d’intrépide bonté.

Mais leurs sentiments se doublèrent d’une violente colère lorsqu’ils surent quel rôle avait joué dans l’arrestation de la jeune fille leur patron, Silas Farwell.

Ce dernier, depuis la restitution forcée des soixante-quinze mille dollars, n’avait cessé de témoigner à son personnel le plus vif ressentiment. Il faisait peser sur tous, et notamment sur les meneurs qui avaient voulu fomenter la grève, le poids d’une autorité despotique et injuste. En outre, pour compenser la perte qu’il avait faite, il avait déclaré à ses ouvriers (sous le prétexte de constituer une caisse de retraite) qu’il retiendrait les sommes dues au dernier trimestre. Cette prétention avait soulevé les plus vives protestations.

La situation entre les ouvriers et le patron était donc des plus tendues lorsque éclata publiquement ce qu’on appela l’affaire du Cercle Rouge.

Les braves gens de la Coopérative n’hésitèrent pas une minute à prendre parti pour Florence Travis contre Silas Farwell.

Comme ils l’avaient déjà fait, ils organisèrent, à l’heure de la rentrée aux ateliers, un meeting dans la rue.

— Mes chers camarades, leur dit Watson, Silas Farwell continue à employer vis-à-vis de nous les plus mauvais procédés, il redouble d’autorité. Vous savez qu’il refuse encore de nous répartir les sommes qui nous sont dues. Cette situation ne peut durer.

— En outre, vous avez appris que Mlle Florence Travis, la généreuse et courageuse jeune fille qui nous a restitué les soixante-quinze mille dollars dont on nous frustrait, a été arrêtée, sur la plainte de Silas Farwell. Il a osé se charger lui-même du rôle d’argousin… Nous devons à Mlle Travis une éternelle reconnaissance. Le moment est venu de payer notre dette. Je vous propose de faire, dans les rues de la ville, une manifestation imposante en sa faveur…