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il était décidé à s’en abstenir. Qu’y serait-il allé faire ? Son appartement, son cabinet de travail devaient être mis sous scellés et gardés. Renouer des relations avec ses anciens amis, il n’y fallait pas songer. C’était risquer une arrestation. Rester dans le quartier excentrique où il venait d’élire domicile lui semblait également fort dangereux. On finirait par lui demander ses papiers. Chercher du travail, c’était encore chimérique. Avocat éloquent et jurisconsulte éminent, il ne pouvait faire autre chose que des travaux ayant trait à sa profession, et trouver un emploi serait extrêmement difficile sinon impossible. La police s’inquiéterait de ses démarches successives et ne manquerait pas de mettre la main sur lui.

La situation lui paraissait à peu près sans issue quand tout à coup une solution s’offrit à son esprit comme étant la seule logique et la seule raisonnable.

Puisque les preuves qu’on avait contre lui étaient anéanties sans retour, pourquoi n’irait-il pas franchement se constituer prisonnier ?

Il en serait quitte pour s’expliquer. Le pis qui pût lui arriver c’était de faire quelques semaines de prévention en attendant de passer en jugement. Il risquait même la chance, en usant de ses connaissances de la procédure, d’obtenir sa mise en liberté provisoire.

Tout bien pesé et examiné, il s’arrêta à ce dernier projet.

S’étant levé de bonne heure, il fit une toilette aussi soignée que le lui permettaient ses moyens présents et, sans hésiter davantage, il se rendit au Bureau central de police.

Randolph Allen était précisément en conversation avec Boyles, un des détectives chargés de rechercher l’avocat, quand on lui annonça que ce dernier demandait à lui parler.

Le chef de police, malgré l’indifférence dont il se cuirassait, éprouva intérieurement un vif étonnement, mais il n’en laissa rien paraître sur son visage imperturbable.

— Vous voyez, dit-il tranquillement au détective, les délinquants, c’est comme la fortune : il vaut souvent mieux les attendre chez soi que de courir après.

— Et Dieu sait si celui-là nous a fait trotter, répondit Boyles en riant.

— Faites entrer M. Gordon, dit Randolph Allen au policeman de service qu’il venait de sonner.

Avec beaucoup d’aisance, le chapeau à la main, le sourire sur les lèvres, Gordon entra dans le bureau du chef de police comme s’il eût pénétré dans un salon, en visiteur.

Il prit le premier la parole.

— Je sais, monsieur le chef de police, que rien ne vous étonne. Aussi ne chercherai-je pas à vous expliquer comment je me trouve ici, alors que le souci de ma sécurité me commanderait, pensez-vous, d’être ailleurs. Mais, si je ne vous dis pas comment, je vais toujours vous dire pourquoi.

— Je vous écoute, dit Allen, placide.

— Je suis ici en vertu de ce sentiment assez naturel qui pousse les innocents à ne pas vouloir demeurer hors la loi. J’ai eu tort de ne pas croire en l’infaillibilité de la justice et de mettre l’espace entre elle et moi. Or, cette situation est intolérable. J’aime, en outre, la considération de mes pairs et l’estime publique. Pour recouvrer tout cela, j’ai donc résolu de venir me confier à vous et de vous dire : « Je suis parfaitement innocent du crime que l’on m’impute. Je n’ai jamais volé personne comme on l’a prétendu avec une injustice qui sera reconnue, je vous l’affirme. Je viens chercher la protection de la loi et je compte obtenir une ordonnance de non-lieu. »