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coopérative. Ah ! le coup était réussi. On lui avait repris le papier extorqué à l’avocat, on lui avait dérobé son argent dans son coffre et, enfin, on lui infligeait cette humiliation de l’obliger à rendre, sans le vouloir, à leurs légitimes propriétaires, les sommes que seul il avait détournées.

Il recevait un double choc : l’un frappait sa cupidité, l’autre son amour-propre.

— Qui vous a remis cette lettre ? demanda-t-il à Watson d’une voix étranglée par la rage.

Celui-ci, très poliment, répondit :

— C’est une jeune femme qui est passée à cheval. Elle nous a jeté cette lettre sans s’arrêter… Nous pensions, Monsieur le directeur, ajouta-t-il, sans qu’on pût voir s’il raillait ou non, que c’était vous qui l’aviez chargée de cette mission de justice.

Silas se mordit les lèvres.

— Vous dites une jeune écuyère ?

— Jeune et jolie. Elle a disparu au galop, mais nous espérons qu’elle a entendu nos acclamations de reconnaissance, répondit Watson, appuyé par les murmures approbateurs de ses camarades.

Farwell s’agitait, en proie à une fureur qu’il ne pouvait dissimuler entièrement ni laisser éclater.

S’étant brusquement détourné, il s’éloigna de quelques pas dans la direction de la ville. Tout à coup, il aperçut à peu de distance un agent de la police montée qui avait mis pied à terre et causait familièrement avec un contremaître d’usine.

Farwell le rejoignit, se fit connaître et en quelques mots le mit au courant de ce qui s’était passé.

Le policeman, qui considérait Silas Farwell comme un personnage très important, n’hésita pas. Il enfourcha son cheval et partit au galop suivant les empreintes du cheval de Florence, qui étaient nettement marquées sur le sable.

Lorsque Florence, après une course rapide, jugea qu’elle s’était suffisamment éloignée de l’usine Farwell, elle remit Trilby au petit trot et s’en alla tout doucement, heureuse d’avoir réussi et d’avoir procuré un peu de joie et de bien-être inattendu aux braves ouvriers de la coopérative.

C’était l’excuse et l’explication de ses actes de la veille. L’avenir lui apparaissait maintenant sous de moins sombres couleurs.

Si Max Lamar venait un jour à tout connaître, et Florence avait le pressentiment que cela ne pouvait tarder bien longtemps, qu’aurait-il, en somme, à lui reprocher ? Des irrégularités dans le choix de ses moyens, des illégalités même ? Mais tout cela n’était-il pas justifié par l’intention qui l’avait fait agir et par les résultats obtenus ? Rien que depuis la veille, elle avait sauvé l’honneur d’un homme victime de la plus infâme machination et restitué à des travailleurs, dignes de tout intérêt, l’argent qu’on leur avait dérobé.

Pourtant le visage de la jeune fille se crispa en une expression de souffrance et d’amertume. Elle songeait à l’affreux secret de sa naissance, elle songeait à l’héritage de honte et d’horreur qui opprimait sa vie, qui la marquait si affreusement de ce signe abominable.

En serait-elle jamais délivrée ? Aurait-elle jamais le droit de partager l’existence de l’homme qu’elle aimait, alors même que celui-ci le lui proposerait ?

Elle n’osait plus croire à un bonheur possible, tant que le stigmate maudit mettrait sur sa main l’horrible preuve de la fatalité qui la dominait.

Cependant, une émotion vive s’emparait d’elle, une joie confuse et irraisonnée