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Elle voyait bien que Gordon ne lui avait pas menti. Tous les dires de l’avocat se vérifiaient les uns après les autres.

Elle eut envie de briser les carreaux pour passer la tête par l’imposte et pour crier : « Menteur ! » au gredin qui abusait ainsi de la bonne foi de Max Lamar, après avoir indignement trompé le malheureux avocat.

Elle se contint, ayant eu soudain la brusque révélation du moyen par lequel elle pourrait dénouer la situation et punir le misérable, tout en sauvant la victime.

Farwell continuait :

— S’il n’avait pas détourné cet argent, pourquoi se serait-il enfui ? Réfléchissez, docteur, le doute n’est pas possible.

Max Lamar, écrasé par l’évidence, hochait la tête. Il aurait voulu qu’une lueur de justification éclairât la nuit accablante qui se faisait dans son esprit autour de l’homme auquel il devait l’existence.

Pendant ce temps, Florence Travis était descendue de son observatoire et avait remis doucement la table à sa place.

Ouvrant la porte de droite, elle inspecta minutieusement le corridor et le palier.

Personne.

Prenant son sac à main, elle le jeta dans un coin du palier et revint dans l’antichambre.

Elle entendait toujours, mais confusément, parler Max Lamar et Silas Farwell.

Arrachant alors le large peigne d’écaille qui retenait ses cheveux, elle les dénoua à demi, dégrafa le col de son corsage, en déchira même une manche, bref, se donna l’aspect d’une personne qui vient d’essuyer une agression violente.

Et tout à coup, renversant la table, bousculant les chaises, faisant dégringoler l’immense banquette, elle se mit à pousser des cris perçants, d’une voix altérée par l’effroi.

Les deux hommes, dans le bureau, eurent l’impression qu’une lutte terrible avait lieu à côté d’eux.

Ils allaient se précipiter au dehors quand la porte du cabinet s’ouvrit, et Florence, échevelée, les yeux dilatés, tous les traits de son joli visage crispés en une expression de terreur, vint tomber presque à leurs pieds, en disant :

— Là… un homme… c’est affreux… un homme est entré. Il m’a bousculée, frappée et s’est sauvé avec son sac. Courez, docteur, courez, monsieur, je vous en prie, rattrapez-le, il ne doit pas être loin !

Max avait relevé la jeune fille et la forçait de s’asseoir dans un fauteuil.

— Mais cet homme, comment est-il ? demanda Silas Farwell.

Florence, haletante, répondit, la gorge serrée :

— Grand… blond… je crois, un chapeau mou… un vêtement beige… je ne sais plus… je ne sais plus…

Et, se dressant :

— Mais qu’attendez-vous pour le poursuivre, pour lui reprendre mon sac, où j’avais mes bijoux, mes lettres ?

Max Lamar n’hésita plus.

— Ne perdons pas un instant, monsieur Farwell. Venez avec moi. Nous prendrons chacun un côté de la rue.

Silas, sans grand enthousiasme, mais ne pouvant hésiter, se décida et suivit le docteur.

À peine les deux hommes furent-ils dans le couloir que Florence se dressa.

À l’agitation factice, mais admirablement simulée, à laquelle elle venait de paraître en proie, succéda le calme parfait de la décision.

S’approchant du bureau de Farwell, où était resté le reçu de Charles Gordon, elle prit le document et le mit dans son corsage.