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voir participé à ma disparition. Voyons, c’est bien compris ?

Florence sentit que toute résistance était vaine.

— Eh bien ! soit, dit-elle. Restez caché jusqu’à la nuit. Puis venez au garage de la villa. Vous y trouverez à manger et nous aviserons ensuite.

Sam Smiling s’inclina avec un respect affecté.

— Votre parole vaut un écrit, dit-il. Vous avez toujours été généreuse envers votre pauvre ami Sam. Je vous en remercie, mademoiselle.

Ayant salué, il se retira et regagna les rochers.

Florence, en proie à la plus vive agitation, rejoignit sa mère et Mary.

— Qu’as-tu, ma chérie ? tu es toute pâle. Que t’a dit cet homme ? demanda Mme Travis. Parle !

Florence, se dominant de son mieux, prit un air enjoué.

— Ce n’est rien, absolument rien. Ce malheureux n’avait pas mangé depuis deux jours et, tandis que je le secourais d’une aumône, il me racontait ses peines.

Mme Travis accepta l’explication :

— Tu es trop sensible, ma chère petite. Il ne te faudrait pas ce genre d’émotion.

Mary, elle, gardait le silence, comprenant bien que Florence ne disait pas la vérité.

« Je saurai bien ce qui s’est passé », se disait-elle, pendant que toutes les trois regagnaient la villa.

Aussitôt arrivée, Florence, sous le prétexte de changer de vêtement, monta dans sa chambre.

Une fois seule, elle se jeta dans un fauteuil et, le visage dans ses mains, se prit, à sangloter comme une enfant.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! gémissait-elle, C’est trop de choses contre moi… Le poids est trop lourd. En quoi suis-je coupable ? Est-ce ma faute si l’apparence du mal est en moi ?

Ses pleurs s’arrêtèrent soudain. Une émotion nouvelle s’était emparée de tout son être. Elle oubliait sa propre sécurité pour ne songer qu’à celui qui tenait maintenant toute la place dans son cœur.

L’image de Max Lamar était devant ses yeux.

Quelle affreuse situation ! Qu’allait dire le docteur, quand il saurait ?…

Elle lisait mieux maintenant au fond d’elle-même. Et l’aveu qu’elle n’avait jamais osé se faire lui échappait violemment, en présence du terrible danger qui la menaçait.

— Car je l’aime ! Oui, je l’aime follement. Toute ma vie lui appartient. Ah ! le cruel amour ! Avoir espéré devenir un jour la compagne de cœur et d’énergie d’un homme comme lui et tomber de ce rêve, tomber dans quel abîme d’horreur et de déshonneur !…

Elle se reprit à pleurer amèrement.

— Il vaudrait mieux que je fusse morte. Comme cela, il ne saurait pas… il ne saurait jamais que je suis… Oh ! mon Dieu !… la fille de Jim Barden, le forçat… Je vivrais dans son souvenir… Pourtant, c’eût été si doux de vivre près de lui !

L’idée brusque lui vint d’en finir, d’aller du haut de la falaise se jeter dans la mer.

— Oui, dans la mer… Je choisirai, pour disparaître à jamais l’endroit même où, cette nuit, il a failli mourir…

Elle se leva, résolue, et s’enveloppa d’un manteau. Une dernière fois, elle regarda autour d’elle, et elle se regarda elle-même dans un miroir…

À ce moment, on frappa discrètement à la porte de la chambre et, aussitôt, Mary entra.