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sur lui l’attention publique et, en particulier, celle des agents lancés à ses trousses.

Cependant, la faim le tenaillait. Il se hasarda à quitter son abri et, de rocher en rocher, il gagna la plage. Au loin, il aperçut la gare des marchandises, où il avait débarqué le matin.

— Si je pouvais y arriver sans être vu, pensa-t-il, je trouverais peut-être encore un wagon hospitalier… Et puis, dans une gare, on découvre toujours quelque colis de victuailles…

Tout en faisant ces réflexions, il s’avançait jusqu’en dehors de la dernière ligne des rochers.

Mais il se rejeta brusquement en arrière.

Il venait d’apercevoir les deux détectives lancés à la poursuite de l’avocat Gordon.

Sam les connaissait bien.

— Jacob et Boyles, s’écria-t-il avec effroi. Ils viennent pour moi, c’est sûr.

Précipitamment, il reprit, le chemin de la grotte, où il résolut de rester jusqu’au soir, malgré les tortures affreuses de la faim qui le tenaillait avec une acuité grandissante.

Hagard, étreignant des deux mains sa poitrine, comme pour comprimer les crampes affreuses qui lui traversaient l’estomac, il se laissa tomber sur une pierre. Il essaya de mâcher du varech et quelques morceaux de cuir coupés à sa ceinture. Il pensait, sans pouvoir s’en défendre, à de grands repas plantureux.

Souffrant atrocement, isolé ; dans la société par ses crimes, traqué comme une bête farouche, pour lui le châtiment commençait.

Soudain, au milieu de la torpeur pleine de vertiges qui commençait à s’appesantir sur lui, son oreille fut frappée par un bruit insolite et l’odeur, âcre d’une fumée qui semblait toute proche.

C’était quelques minutes après que Florence eut mis le feu à la cabane de l’Ermite.

Sam risqua un coup d’œil hors de la grotte, assez à temps pour voir, dans l’étroit sentier, dévaler à toute vitesse un homme recouvert de haillons. Il ne douta point que ce fût l’inconnu qui l’avait attaqué au courant de la précédente nuit.

Gordon (c’était lui, en effet) se dirigeait vers la route qui faisait le tour de la plage.

Sam Smiling, furtivement, grimpa jusqu’à la pointe d’un roc et le suivit des yeux.

Un camion automobile passait sur la route. Gordon, avec une souplesse inimaginable, s’accrocha derrière ce véhicule et disparut avec lui.

— Voilà une chose à laquelle je n’avais pas pensé, songea Sam Smiling.

Il allait réintégrer la grotte, mais il en fut empêché par la foule, qui accourait de tous côtés pour voir brûler la masure. Celle-ci, laide et sordide, déparait le paysage et sa destruction n’était regrettée de personne.

En tremblant un peu, Sam se mêla aux curieux. Il prêta l’oreille aux colloques entrepris par les spectateurs. Des lambeaux de phrases parvenaient à son oreille. Il s’agissait de lampe, de bras de femme, de cercle rouge sur une main…

Sam Smiling s’étonna.

— Le Cercle Rouge ici… Encore ! Et quelle femme peut avoir un tel stigmate ? Je le saurai. Il faut que je le sache. C’est donc vrai que le mystérieux signe de Jim Barden n’est pas mort avec lui ?

Tout à coup, il tressaillit, croyant qu’il était pris.

En effet, Jacob et Boyles redescendaient