Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

misérable qui venait à peine de goûter à la liberté, elle se jeta en avant, bouleversée par la pitié.

— Non, non, dit-elle à Max Lamar. Laissez-le aller, monsieur… Je vous en prie… C’est de ma faute, j’ai été maladroite. Je l’ai exaspéré par mon insistance indiscrète, qu’il a dû prendre pour une offense… Je vous en prie, laissez-le libre…

Ses beaux yeux imploraient ; elle tendit vers le jeune médecin des mains suppliantes. Max fut ébloui par la beauté de la jeune fille. Pourtant, il eut encore une hésitation.

— Je vous en prie, répéta-t-elle, d’un ton irrésistible.

— Allez-vous-en, dit Max Lamar au vieux bandit, qui se tenait maintenant devant lui, immobile et paraissant retombé dans une morne apathie. Allez-vous-en, vous êtes libre ! Remerciez cette jeune dame que vous menaciez et dont la générosité m’empêche de vous renvoyer d’où vous venez.

Jim Barden ne répondit pas un seul mot. Il enfonça son chapeau sur ses yeux et s’éloigna d’un pas lourd et sans tourner la tête.

Florence le suivit du regard. Sur son joli visage, il y avait une expression d’indéfinissable pitié. Puis elle se retourna vers Max Lamar et le remercia avec effusion.

— Sans vous, sans votre généreuse intervention, sans votre courage et votre énergie, je n’aurais pas échappé à la fureur de ce malheureux, termina-t-elle, les yeux brillants de gratitude.

— Florence, mon enfant, n’as-tu aucun mal ? cria avec angoisse Mme Travis, qui accourait, ayant de loin suivi sa fille et assisté, bouleversée, à la fin de la brève scène de violence.

— Non, non, ma mère ; grâce à monsieur je suis saine et sauve, dit gaiement la jeune fille.

Max Lamar, on a pu s’en rendre compte, n’était pas un personnage craintif ou timide.

Pourtant, en face de la jeune fille qui lui disait sa gratitude, un moment, il était resté troublé.

Machinalement, il se pencha, ramassa les billets de banque froissés par la main de Jim et les remit à Florence. Cependant, Mme Travis l’accablait à son tour de remerciements chaleureux, et Max Lamar reprit son aisance d’homme du monde.

— Je vous en prie, madame, vous allez, me laisser penser que vous ne m’auriez pas cru capable d’une action toute naturelle. Du reste, je faisais mon métier… Ce n’est pas que je sois détective, ajouta-t-il en riant, mais je suis médecin, — le docteur Max Lamar, — et mon rôle est, parfois de dompter les fous…

— Oui, oui, n’est-ce pas, cette fureur ne pouvait être que de la folie ? Que lui avais-je fait ? s’exclama la jeune fille.

— C’est un fou, mais ce n’est pas seulement un fou, dit Max Lamar, dont le visage s’assombrit. C’est un être redoutable — plus redoutable que jamais, il vient de le prouver par sa rage inexplicable — qui est maintenant lâché. Je crains que votre générosité ne m’ait fait commettre une imprudence, mademoiselle. Enfin, je vais exercer une surveillance active…

— Oh ! monsieur, vous m’en direz les résultats ! cet homme m’intéresse et m’apitoie, il paraît si farouchement désespéré, dit Florence au jeune médecin. Et si vous voulez bien perdre quelques minutes à me parler de vos recherches et de vos travaux, ajouta-t-elle, j’en serais très heureuse… Ce sont des questions si profondément intéressantes, si étranges, si mystérieuses… Nul ne les a étudiées comme vous…

Mme Travis joignit son invitation à celle de sa fille, et Max Lamar s’engagea à aller rendre visite aux deux dames.

Florence et sa mère remontèrent dans leur auto, qui démarra.

Max Lamar, immobile, suivit des yeux la voiture jusqu’à ce qu’elle eût disparu.

Alors, seulement, il s’éloigna dans la direction qu’avait prise Jim Barden.

Dans l’auto qui l’emportait à toute allure, Florence, pour rassurer et calmer Mme Travis, bouleversée par la scène qui avait eu lieu, fut plus joyeuse et plus enjouée que de coutume. Par instants, pourtant, un nuage de tristesse fugitive assombrissait ses traits et il semblait qu’elle dût faire effort pour reprendre sa gaieté.

Dans une avenue bordée de riches maisons particulières, l’auto fit halte devant la grille d’un jardin splendide, au milieu duquel s’élevait une habitation luxueuse. C’était Blanc-Castel, la résidence des deux dames.

Celles-ci descendirent de voiture et entrèrent. Pendant que Mme Travis gagnait la maison, Florence se dirigea lentement vers le fond du parc.

Une femme de quarante-cinq à quarante-six ans, très simplement vêtue de noir, au visage énergique et bon, la rejoignit aussitôt. On l’appelait Mary. Elle avait été la nourrice de Florence et, depuis lors, était restée auprès d’elle, amie fidèle plus encore que gouvernante de la jeune fille, qu’elle entourait d’un dévouement attentif et inlassable d’une profonde tendresse.

Après avoir échangé avec elle quelques paroles, la voyant pensive, elle la quitta, emportant le chapeau et la fourrure de la jeune fille.

Celle-ci, seule, fit encore quelques pas au milieu de la luxuriante végétation, parmi laquelle serpentaient les allées du parc.

Elle arriva auprès d’un large bassin, où une fontaine élevait le murmure musical de son flot jaillissant.

Sur un canapé d’osier elle s’assit et longtemps demeura songeuse, mordillant distraitement une fleur coupée. Peu à peu, l’expression de son visage devint mélancolique. Une nerveuse inquiétude agita Florence. Elle laissa tomber la fleur et, comme si elle éprouvait une soudaine souffrance, elle porta la main à sa poitrine.

— Florence, mon enfant, qu’avez-vous ? Vous souffrez ? murmura près d’elle une voix inquiète.