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Il resta un instant pensif, puis, sans rien ajouter, écarta brusquement la main que Florence avait posée sur son bras, et, plus sombre que jamais, d’un pas pesant, se dirigea vers la porte.

Le gardien, d’un regard, consulta le directeur. Celui-ci fit un signe affirmatif ; le gardien laissa passer l’homme, et, le long des corridors lugubres, l’accompagna pour le faire sortir de l’asile.

— Voici une tentative peu encourageante, mademoiselle Travis, commença M.  Miller.

Mais Florence qui était restée sur place, regardant s’éloigner le prisonnier libéré, interrompit le directeur.

— Non, non, c’est impossible ! Je ne puis le laisser partir comme cela ! s’écria-t-elle. Il y a du bon en lui, j’en suis sûre ! Je l’ai vu tressaillir quand je lui ai parlé de sa femme. Il a l’air si sombre, si désespéré ! il doit être si malheureux !… Je vais le rejoindre, essayer encore…

Malgré les appels de sa mère, qui se hâta de la suivre, la jeune fille s’élança hors du cabinet du directeur et se mit à courir pour rattraper Jim Barden.

La grille venait de s’ouvrir devant celui-ci. Jim la franchit et se trouva sur l’avenue déserte. Un moment, il resta immobile, les yeux clignotants au sortir de l’ombre intérieure, indécis peut-être sur sa direction et sans doute étourdi par le grand air, par le grand jour, par la liberté. Puis il fit quelques pas pour s’éloigner.

C’est à ce moment que Florence le rejoignit.

La jeune fille, rose, essoufflée d’avoir couru, sans se soucier d’être vue en pleine rue parlant à cet homme à l’aspect de bandit, mit de nouveau sa main sur le bras de Jim Barden.

Celui-ci s’arrêta, sa face se contracta dans une expression de sombre impatience.

— Écoutez-moi, lui dit la jeune fille avec le plus charmant des sourires ; j’ai encore un mot à vous dire. Je crois que tout à l’heure, je vous ai irrité. Je m’y suis mal prise, probablement, et je vous ai fait de la peine. Ce n’était pas mon intention, je vous assure… Pardonnez-moi, et pour me prouver que vous ne m’en voulez pas, permette-moi de vous avancer ceci, afin que vous puissiez vivre en attendant du travail.

Elle avait tiré de son réticule un petit rouleau de billets de banque qu’elle lui tendit.

Jim Barden eut un mouvement. Une colère alluma ses yeux. Brutalement, de la main de la jeune fille, il arracha les billets de banque qu’il froissa et jeta à terre.

— Je n’en veux pas de votre argent ! gronda-t-il d’une voix rauque. Je ne suis pas un mendiant !

— Je vous en prie, insista Florence.

Mais elle s’arrêta, interdite. Ce n’était plus le même homme. Un accès soudain de rage aveugle avait saisi Jim Barden :

— Allez-vous me laisser tranquille ! hurla-t-il le visage convulsé et en faisant un pas vers Florence.

Il était si menaçant que le gardien, qui regardait la scène, se jeta sur lui et le saisit à bras le corps.

Jim eut un rugissement étouffé et ses mains puissantes étreignirent la gorge du gardien.

La lutte fut brève. L’homme au Cercle Rouge, avec une force décuplée par la rage, se dégagea et, fou de fureur, s’élança le poing levé sur la jeune fille.

Une main vigoureuse saisit le bras menaçant. Le forcené vit devant ses yeux le canon d’un revolver braqué sur lui.

— Haut les mains ! ordonna une voix brève.

C’était Max Lamar, qui intervenait.

En sortant de son bureau, il s’était dirigé, comme il en avait manifesté l’intention à sa sténographe, vers l’asile.

Là, se dissimulant dans un angle de mur d’où l’on voyait la grille, il avait attendu la sortie de l’être redoutable qu’il s’était donné pour mission d’empêcher de nuire.

De ce poste d’observation, il avait assisté à la scène de violence qui s’était déroulée entre Barden et la jeune fille, et s’était précipité au secours de celle-ci.

— C’est encore vous, gronda Barden, en jetant un regard sanglant au jeune homme.

— Haut les mains ! répéta durement Lamar.

Jim-Cercle-Rouge hésita une seconde, mais la violence de sa crise était tombée ; le revolver restait braqué sur lui, le tenant en respect. Il obéit et leva les deux bras, tout en grondant sourdement comme une bête prise.

Max Lamar, sans le perdre du regard, sans cesser de le tenir sous la menace de son arme, se fouilla et sortit de sa poche les menottes qu’il y avait placées.

— Passez-lui ces bracelets, ordonna-t-il au gardien, qui s’apprêta à obéir.

Florence, nous l’avons dit, n’avait pas reculé devant le poing brandi de Jim Barden. Calme, résolue, un peu pâle, plus jolie que jamais dans son intrépidité fière, elle avait vu son sauveur dompter le forcené dont elle avait, sans le vouloir, provoqué la rage. Mais, quand le gardien s’apprêta à passer les menottes aux poignets de celui-ci, quand elle comprit qu’on allait replonger dans sa cellule le