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— Vous devriez téléphoner à Clara.

— Tu es fou, mon pauvre Tom ! Imagine-toi que la police, par une incroyable fatalité, ait pénétré chez elle et que je trouve au bout du fil… Max Lamar, par exemple !

— Vous reconnaîtriez bien sa voix.

— Le téléphone, a dit un grand écrivain, a été donné à l’homme pour déguiser sa parole. Il suffirait que mon correspondant d’occasion prît une voix de femme pour que, sans le vouloir, je mange le morceau.

— Vous ? Un vieux renard !…

— Tu l’as dit, un vieux renard ! Je prends de l’âge et je ne me sens plus en possession de mes anciens moyens. Je serai bientôt bon, moi aussi, à collectionner des insectes, comme cet imbécile de Bénédict.

— Pensez-vous !… Vous vous faites des idées, parce que ça n’a pas l’air de marcher comme on le voudrait… Moi, je vous dis que ça a réussi à Surfton…

— C’est vrai… j’ai tort. Mais, vois-tu, mon cher Tom, il me vient de fâcheux pressentiments. Quelque chose me dit que ce Lamar, et même cette Florence Travis, avec toute sa philanthropie, vont m’être funestes…

Sam, subitement, se frappa le front.

— Est-ce que, par hasard, Clara aurait oublié d’effacer le Cercle Rouge ? Tu vois ça d’ici… Clara traversant les rues avec son sac de voyage et cet indice inscrit sur sa main !

Tom Dunn éclata de rire.

— Vous déraillez, mon vieux Sam ! N’ayez donc pas peur ! Tout va s’arranger. Je retourne à mon poste d’observation.

Tom Dunn sortit et reprit sa faction, tandis que Sam Smiling s’asseyait devant son établi et feignait de travailler ; mais son esprit était loin du brodequin qu’il décousait.

Il n’y avait pas un quart d’heure que Tom Dunn avait recommencé à faire le guet que deux hommes apparurent au tournant de la rue.

C’étaient Max Lamar et l’inspecteur de la police.

Leur système d’enveloppement avait été ingénieusement combiné. Tandis que tous deux s’avançaient vers la boutique, les deux autres policiers mis à la disposition du docteur faisaient le tour par la rue sur laquelle donnaient les terrains vagues où s’ouvrait la seconde sortie. Il semblait bien que les bandits, dans de telles conditions, ne pussent pas s’échapper.

Les policiers avaient compté sans la prodigieuse habileté du redoutable coquin qu’était Sam Smiling.

Max Lamar, en réalité, n’avait pas repéré les lieux comme il aurait pu le faire, s’il en avait eu le temps. Depuis quelques jours seulement, ses soupçons se portaient sur le cordonnier, et nous avons vu qu’à sa dernière visite à la boutique du receleur, il avait été en proie à de nombreuses hésitations. Il avait même tenu dans sa main une chaussure munie d’un talon-cachette, sans que sa perspicacité eût poussé la recherche jusqu’au bout.

Aussi peu renseigné qu’il l’était, comment aurait-il pu connaître l’existence de la seconde boutique que Sam avait louée à côté de la sienne ? Comment aurait-il pu soupçonner le réduit caché par le casier du fond ?

Max Lamar allait apprendre tout cela à ses dépens.

Dès que Tom Dunn aperçut le docteur et le policier, il opéra comme nous l’avons vu faire une première fois et pénétra, rapide et furtif, dans la boutique.

Sam Smiling, qui avait en face de son établi une glace habilement disposée pour refléter l’aspect de la rue, était déjà debout.

— Attention, vieux, dit Tom Dunn, voici Max Lamar qui arrive !