— Dans les bas-fonds où vit cet homme, cette particularité est bien connue et l’environne d’une sorte de terreur superstitieuse. On l’appelle Jim-Cercle-Rouge et on raconte — je ne sais si c’est une légende — que ce stigmate est héréditaire. On affirme que, dans le passé, de génération en génération, il y a toujours eu un membre de la famille Barden qui était un être moralement taré, extravagant, fou ou criminel, et qui portait, au dos de la main droite, cette même marque mystérieuse.
Le docteur Lamar fit une pause. Il alluma une cigarette, regarda un moment, pensivement, les tourbillons de fumée frisée qui s’envolaient de ses lèvres et continua :
— Jim Barden a un fils. C’est le type parfait de ce que les Français appellent un jeune apache, ce qui est montrer peu d’égards pour ces anciens et fiers guerriers de nos prairies. Il a une vingtaine d’années et il s’est contenté, jusqu’ici, de vivre en marge de la société, traînant de bar en bar, et chapardant tout ce qui se trouve à sa portée. Il n’a, jusqu’à présent, jamais été pincé dans une affaire sérieuse, et je n’ai pas entendu dire non plus que personne ait vu sur sa main le terrible Cercle rouge.
Le docteur Lamar se leva et regarda sa montre.
— Mademoiselle Hayes, voilà les données du problème. Vous en savez autant que moi. Maintenant, il est midi, le moment approche où Jim Barden doit être mis en liberté. Je vais aller l’attendre à sa sortie afin de savoir ce qu’il fera et de surveiller secrètement ses faits et gestes. Sans doute, il va essayer de retrouver son fils, et il retournera chez lui, c’est-à-dire dans un asile mystérieux que la police est persuadée qu’il s’est ménagé — car il disparaît quand il veut, sans qu’on puisse retrouver sa trace.
Le docteur Lamar se coiffa de son chapeau et ouvrit un tiroir de son bureau. Il y prit un revolver de précision qu’il glissa dans une poche et une paire de menottes d’acier, nickelées, étincelantes et jolies comme une parure, qu’il mit dans une autre poche.
— Que le Cercle Rouge ne vous fasse pas oublier mes instructions, mademoiselle Hayes, recommanda-t-il.
— Non, monsieur, dit la jeune fille.
— Et maintenant, il faut que je me hâte si je veux assister au lâcher de la bête fauve, murmura-t-il en sortant.
II
Une mise en liberté
L’asile pénitentiaire, vaste construction massive, aux murs rébarbatifs, aux fenêtres défendues par d’épais barreaux, semblait plus sinistre encore sous le radieux soleil d’un midi de printemps.
Une auto luxueuse tourna l’avenue déserte et, d’une allure rapide et moelleuse, vint s’arrêter devant la lourde grille qui barrât l’entrée principale de l’asile.
La portière s’ouvrit. Deux femmes élégantes en descendirent. Une jeune fille d’abord, qui sauta légèrement sur le trottoir et se retourna pour offrir l’appui de sa main à sa compagne, une dame d’un certain âge, qui mit pied à terre à son tour.
La jeune fille sonna à la grille. Un gardien parut, salua les dames qu’il semblait connaître, les fit entrer et s’éloigna. Il revint bientôt dire que le directeur attendait Mme Travis et Mlle Florence Travis.
Mme Travis, une femme de cinquante ans environ, vêtue de noir avec une distinction sobre, au visage calme et bon sous ses cheveux déjà presque blancs, se retourna vers la jeune fille. Celle-ci regardait pensivement la lourde grille qui séparait — comme une barrière placée entre le bonheur et le malheur — le lugubre couloir, sombre et froid sous la voûte pesante, du jour éclatant, vibrant et libre de la rue.
— Viens-tu, Flossie ? lui dit-elle avec un accent qui décelait toute sa tendresse.