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Marie-Thérèse. — Précisément. Et comme je ne suis plus toute jeune…

D’Argine. — Que vous avez déjà au moins dix-huit ans….

Marie-Thérèse. — Je commence à m’inquiéter.

D’Argine. — Vous en avez le droit.

Marie-Thérèse, l’observant. — Vous vous moquez, monsieur d’Argine.

D’Argine. — Moi ? Nullement !

Marie-Thérèse. — Si, si, vous vous moquez et vous n’avez pas tort. Je comprends ce qu’il y a d’un peu ridicule dans mes désillusions. Mais tout de même on dirait que votre ironie n’est pas très bienveillante, comme à l’ordinaire ; vous ai-je fâché ?

D’Argine. — Et en quoi, mon Dieu ! (Un silence.) Vous sentez-vous donc quelque tort à mon égard, que vous puissiez me croire fâché ? (Il se promène, puis revient à elle.) Mais enfin — vous le voyez, votre détresse me touche — pour jouer au tennis, pour danser, vous n’étiez pas seule ?

Marie-Thérèse. — Non, naturellement.

D’Argine. — Vous causiez avec votre partenaire ?

Marie-Thérèse. — Assurément.

D’Argine, avec un peu de gravité. — Eh bien, il ne vous est jamais arrivé, mademoiselle, de vous dire que quelques mots échangés, une conversation intelligente, la découverte, chez un autre, de goûts semblables, d’idées justes, d’instincts généreux, qu’un silence même quelquefois valaient bien une série de cataclysmes, et qu’une journée marquée par l’un de ces petits faits n’est pas une journée perdue.

Marie-Thérèse, comme étonnée. — Certes… je pense comme vous… mais, en relisant ce cahier, je n’ai rien trouvé non plus qui me rappelle le moindre de ces petits faits… si importants.