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— Comment cela ?

— Deux mots vous suffiront, le nom de mon mari est sur la liste des Vingt-sept.

— Ah !

D’un coup, le voile se déchirait devant les yeux de Lupin et il apercevait à la lueur d’un éclair toute une région de choses qui se dérobaient jusque-là dans les ténèbres.

D’une voix plus forte, Clarisse Mergy reprenait :

— Oui, son nom s’y trouve inscrit, mais par erreur, par une sorte de malchance incroyable dont il fut la victime. Victorien Mergy fit bien partie de la commission chargée d’étudier le canal français des Deux-Mers. Il vota bien avec ceux qui approuvèrent le projet de la compagnie. Il toucha même, oui, je le dis nettement, et je précise la somme, il toucha quinze mille francs.

Mais c’est pour un autre qu’il toucha, pour un de ses amis politiques en qui il avait une confiance absolue et dont il fut l’instrument aveugle, inconscient. Il crut faire une bonne action, il se perdait. Le jour où, après le suicide du président de la compagnie et la disparition du caissier, l’affaire du canal apparut avec tout son cortège de tripotages et de malpropretés, ce jour-là seulement mon mari sut que plusieurs de ses collègues avaient été achetés et il comprit que son nom, comme le leur, comme celui d’autres députés, chefs de groupes, parlementaires influents, se trouvait sur cette liste mystérieuse dont on parlait soudain. Ah ! les jours affreux qui s’écoulèrent alors ! La liste serait-elle publiée ? Son nom serait-il prononcé ? Quelle torture ! Vous vous rappelez l’affolement de la Chambre, cette atmosphère de terreur et de délation ! Qui possédait la liste ? On ne le savait pas. On savait son existence. Voilà tout. Deux hommes furent balayés par la tempête. Et l’on ignorait toujours d’où partait la dénonciation et