Page:Leblanc - Le Bouchon de cristal, paru dans Le Journal, 25-09 au 09-11-1912.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

maison, donnaient sur le jardin, il accrocha à son balcon une échelle de corde qu’il déroula doucement, et le long de laquelle il descendit jusqu’au niveau supérieur des fenêtres du cabinet.

Des volets masquaient ces fenêtres. Mais, comme elles étaient rondes, une imposte en demi-cercle restait libre, et Lupin, bien qu’il lui fût impossible d’entendre, put discerner tout ce qui se passait à l’intérieur.

Aussitôt il constata que la personne qu’il avait prise pour un homme était une femme — une femme encore jeune, quoique sa chevelure noire se mêlât de cheveux gris, une femme d’une élégance très simple, haute de taille, et dont le beau visage avait cette expression lasse et mélancolique que donne l’habitude de souffrir.

— Où diable l’ai-je vue ? se demanda Lupin. Car, sûrement, ce sont là des traits, un regard, une physionomie que je connais.

Debout, appuyée contre la table, impassible, elle écoutait Daubrecq. Celui-ci, debout également, lui parlait avec animation. Il tournait le dos à Lupin, mais Lupin s’étant penché, aperçut une glace où se reflétait l’image du député. Et il fut effrayé de voir avec quels yeux étranges, avec quel air de désir brutal et sauvage il regardait sa visiteuse.

Elle-même dut en être gênée, car elle s’assit et baissa les paupières. Daubrecq alors s’inclina vers elle, et il semblait prêt à l’entourer de ses longs bras aux poings énormes. Et, tout à coup, Lupin s’avisa que de grosses larmes roulaient sur le triste visage de la femme.

Est-ce la vue de ces larmes qui fit perdre la tête à Daubrecq ? D’un mouvement brusque il étreignit la femme et l’attira contre lui. Elle le repoussa avec une violence haineuse. Et tous deux, après une courte lutte où la figure de l’homme apparut à Lupin, atroce et convulsée, tous deux, dressés l’un contre l’autre, ils s’apostrophèrent comme des ennemis mortels.

Puis ils se turent. Daubrecq s’assit, il avait un air méchant, dur, ironique aussi.