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tune colossale… Comment ! vous ne connaissez pas cette aventure-là ? Elle vaut pourtant la peine d’être connue.

Et, sans plus tarder, Lupin, qui était en veine de confidences, se mit à me raconter l’histoire de son mariage avec Angélique de Sarzeau-Vendôme, princesse de Bourbon-Condé, aujourd’hui sœur Marie-Auguste, humble religieuse cloîtrée au couvent des Dominicaines…

Mais, dès les premiers mots, il s’arrêta, comme si tout à coup son récit ne l’eût plus intéressé, et il demeura songeur.

— Qu’est-ce que vous avez, Lupin ?

— Moi ? Rien.

— Mais si… Et puis, tenez, voilà que vous souriez… C’est la cachette de Daubrecq, son œil de verre, qui vous fait rire ?

— Ma foi, non.

— En ce cas ?

— Rien, je vous dis… rien qu’un souvenir…

— Un souvenir agréable ?

— Oui !… oui… délicieux même. C’était la nuit, au large de l’île de Ré, sur la barque de pêche où Clarisse et moi nous emmenions Gilbert… Nous étions seuls, tous les deux, à l’arrière du bateau… Et je me rappelle… J’ai parlé, j’ai dit des mots et des mots encore… tout ce que j’avais sur le cœur… Et puis… et puis, ce fut le silence qui trouble et qui désarme…

— Eh bien ?

— Eh bien, je vous jure que la femme que j’ai serrée contre moi cette nuit-là, et que j’ai baisée sur les lèvres. Oh ! pas longtemps, quelques secondes… N’importe ! je vous jure Dieu que ce n’était pas seulement une mère reconnaissante, ni une amie qui se laisse attendrir, mais une femme aussi, une femme tremblante et bouleversée…

Il ricana :

— Et qui s’enfuyait le lendemain pour ne plus me revoir.

Il se tut de nouveau. Puis il murmura :

— Clarisse… Clarisse… le jour où je serai las et désabusé, j’irai vous retrouver là-bas, dans la petite maison arabe… dans la petite maison blanche… où vous m’attendez, Clarisse… où je suis sûr que vous m’attendez…


fin