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Lupin hésita quelques secondes, puis il me dit en souriant :

— Mon cher ami, je vais vous révéler un secret qui va me couvrir de ridicule à vos yeux. Mais vous savez que j’ai toujours été sentimental comme un collégien et naïf comme une oie blanche. Eh bien, le soir où je suis revenu vers Clarisse Mergy, et où je lui ai annoncé les nouvelles de la journée — dont une partie, d’ailleurs, lui était connue — j’ai senti deux choses, très profondément. D’abord, que j’éprouvais pour elle un sentiment beaucoup plus vif que je ne croyais ; ensuite, et par contre, qu’elle éprouvait, pour moi, un sentiment qui n’était dénué ni de mépris, ni de rancune, ni même d’une certaine aversion.

— Bah ! Et pourquoi donc ?

— Pourquoi ? Parce que Clarisse Mergy est une très honnête femme, et que je ne suis… qu’Arsène Lupin.

— Ah !

— Mon Dieu, oui, bandit sympathique, cambrioleur romanesque et chevaleresque, pas mauvais diable au fond… tout ce que vous voudrez… N’empêche que, pour une femme vraiment honnête, de caractère droit et de nature équilibrée, je ne suis… quoi… qu’une simple fripouille.

Je compris que la blessure était plus aiguë qu’il ne l’avouait, et je lui dis :

— Alors, comme ça, vous l’avez aimée ?

— Je crois même, dit-il d’un ton railleur, que je l’ai demandée en mariage. N’est-ce pas ? je venais de sauver son fils… Alors… je m’imaginais… Quelle douche !… cela a jeté un froid entre nous… Depuis…

— Mais depuis, vous l’avez oubliée ?

— Oh ! certes. Mais il m’a fallu les consolations d’une Italienne, de deux Américaines, de trois Russes, d’une grande-duchesse allemande et d’une Chinoise.

— Et avec cela ?

— Avec cela, et pour mettre entre elle et moi une barrière infranchissable, je me suis marié.

— Allons donc ! vous êtes marié, vous, Lupin ?

— Tout ce qu’il y a de plus marié, et le plus légitimement du monde. Un des plus grands noms de France. Fille unique… For-